Cette série d’articles vise à expliquer de façon simple et concrète les bases du féminisme intersectionnel, en expliquant les concepts et théories clefs. Il s’agit d’en tracer les contours, sans rentrer dans les détails. À la fin de chaque article, nous te proposons un encart pour aller plus loin, avec des liens vers des vidéos, des podcasts, des conférences ou d’autres articles, qui te donneront la possibilité d’approfondir la réflexion sur le sujet abordé.
Si ce magazine s’ancre dans une perspective résolument intersectionnelle, il existe différents courants féministes en France. Tour d’horizon.
Le féminisme universaliste
Le féminisme universaliste est le féminisme le plus répandu en France, et c’est aussi celui qui est généralement mené dans les institutions et au niveau de l’État. Il se concentre presque exclusivement sur la lutte contre le sexisme, et place le sexisme comme oppression la plus importante de notre société et comme celle induisant toutes les autres.
La plupart des personnes qui en font partie sont des femmes cisgenres, blanches, hétérosexuelles, valides, plus ou moins bourgeoises, ce qui explique qu’elles s’inscrivent dans une démarche visant (presque) uniquement à lutter contre le sexisme, puisqu’il s’agit généralement de la seule oppression dont elles sont victimes.
Si elles postulent majoritairement que le sexe et le genre sont des constructions sociales (contrairement au féminisme essentialiste / différentialiste, voir ci-dessous), elles ne sont ni dans une perspective de convergence des luttes ni dans une perspective d’analyse intersectionnelle.
C’est ce mouvement qui est souvent désigné par les féministes intersectionnel·le·s comme « féminisme bourgeois », « féminisme blanc », ou « féminisme TM » (« trademark », c’est-à-dire qui se vend bien).
On les voit certes depuis quelques années militer de plus en plus activement pour les droits des personnes LGBTQ+, mais cela s’est jusque là généralement cantonné aux questions du mariage pour tou·te·s, de l’adoption et de la PMA pour tou·te·s.
Un autre axe important de la pensée féministe universaliste est de considérer que les femmes sont victimes partout et tout le temps des mêmes oppressions. C’est ce qui conduit souvent à des prises de position islamophobes et racistes. Il est par exemple pour elles inconcevable que des femmes puissent vouloir porter le voile en France, alors que dans d’autres régions du monde les femmes sont obligées de le porter. C’est le même raisonnement pour le travail du sexe.
Pour résumer, il s’agit d’une incapacité à voir que la situation des femmes est différente selon les pays et les régions du monde, voire même au sein de la France, et d’un postulat : toutes les femmes doivent être libres partout de la même manière.
Si le féminisme universaliste est problématique à de nombreux égards, c’est aussi à lui qu’on doit de nombreuses avancées législatives, comme le droit à la contraception et à l’avortement.
Personnes et associations importantes :
- Marlène Schiappa - Laurence Rossignol - Elizabeth Badinter - Osez le féminisme
Le féminisme essentialiste / différentialiste
Pour faire simple, le féminisme essentialiste – au sens sociologique du terme – part du principe que les femmes et les hommes sont différent·e·s, et ce, dès la naissance. Le sexe assigné à la naissance constitue le point de départ d’une longue liste de critères définissant d’une part les femmes, et de l’autre les hommes. S’il est admis que la société exerce par la suite une certaine influence sur les individus (la socialisation de genre), ce n’est néanmoins pas considéré comme étant la seule – ni même la première – source de différences entre les femmes et les hommes. Il y aurait énormément de choses à dire sur ce courant de pensée – dit aussi féminisme différentialiste –, mais il s’agit ici de donner, pour commencer, un aperçu du mouvement.
Les essentialistes s’élèvent contre le patriarcat quand cela les arrange : en l’occurrence, elles se gardent bien de remettre en question le modèle binaire femmes-hommes imposé et perpétué par la société dans laquelle nous vivons, ce qui induit une transphobie très violente pour les concerné·e·s.
Par ailleurs, le refus de penser en dehors de la binarité de genre conduit également à nier la non-binarité, et conduit à l’intersexophobie : en effet, les personnes intersexes ne rentrent pas dans la binarité artificielle que j’évoquais plus haut. Ou alors contre leur gré, lorsqu’elles subissent des mutilations afin que les médecins puissent cocher la case F ou M.
Les féministes essentialistes prônent « l’égalité dans la différence ». L’argument sur lequel sont basées leurs revendications égalitaristes consiste à dire que, bien que les femmes et les hommes soient différent·e·s, iels doivent avoir les mêmes droits. Mais femmes et hommes ne sont pas seulement différent·e·s : iels sont également complémentaires, d’après la règle pénis + vagin = bébé. Une telle position les conduit souvent à être homophobes et biphobes. Essentialisme et hétérosexisme vont donc de pair : dans la mesure où, si femme et homme sont complémentaires, femme et femme, ou homme et homme, ne le sont pas. Les orientations autres que l’hétérosexualité sont donc dès lors invalidées et délégitimées.
Pensant avoir besoin de se définir et de se montrer dans l’espace public avec une identité affirmée et homogène, elles prennent alors le plus petit dénominateur commun : le fait qu’elles soient toutes des femmes. Les autres composantes de l’identité de chacune deviennent alors secondaires (orientation sexuelle, origine, classe sociale, race, etc.). Il s’ensuit que les autres luttes deviennent également secondaires. Elles militent entre autres pour l’abolition de la prostitution, contre le voile, la PMA et la GPA.
Voilà pourquoi les essentialistes ne supportent pas le concept même d’intersectionnalité (voir plus bas) et continuent à pratiquer un entre-soi toxique et réactionnaire. Certaines de ses représentantes ne s’identifient d’ailleurs pas comme féministes.
Personnes et associations importantes :
- Eugénie Bastié - Elizabeth Lévy - Antoinette Fouque - Mona Ozouf - Les Antigones
Le féminisme intersectionnel
En 1989, Kimberlé Crenshaw, jeune professeure de droit, publie un article, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur » (« Mapping the Margins : Intersectionality, Identity Politics and Violence against Women of Color » en langue originale).
Elle y montre entre autres la spécificité de la situation des femmes noires – et plus généralement des femmes racisées – dans la société américaine. Et c’est ainsi qu’elle théorise un des concepts les plus populaires d’une partie du féminisme actuel, l’intersectionnalité. Crenshaw a voulu définir avec cet article et ce concept l’absence effarante dans la législation américaine de prise en compte de multiples facteurs de discrimination. Mais également l’absence effarante de réflexions et de recherches sur le sujet.
Si certain·e·s reconnaissent que les femmes noires sont victimes de sexisme et de racisme, Crenshaw va plus loin, en montrant qu’en se trouvant à l’intersection de ces deux oppressions, les femmes noires se trouvent dans une position bien particulière, qui n’est pas juste l’addition de deux oppressions systémiques.
Une femme noire va subir selon les jours et les situations parfois du racisme, parfois du sexisme. Et souvent les deux en même temps. Prenons l’exemple de la sexualité, qui est toujours très révélateur des discriminations à l’œuvre dans une société. Là où un homme noir va être, dans une dynamique raciste, animalisé – on va vanter ses muscles, son corps puissant, son endurance, autant qu’on va le catégoriser comme agresseur potentiel de toutes les femmes qui se trouveraient sur son chemin – une femme noire sera considérée dans l’imaginaire collectif un peu autrement.
Elle aussi sera animalisée, par exemple avec des comparaisons : « tigresse », « lionne » etc. Mais elle sera également ramenée à son genre et par là victime de sexisme : étourdie, irresponsable, pas très intelligente, superficielle, etc. On peut également penser au cliché des femmes africaines à la progéniture innombrable et donc incapables de conceptualiser la contraception (coucou Macron !) : on retrouve dans ce cliché une dimension raciste – les Noir·e·s, ces personnes sous-évoluées – et une dimension sexiste – les femmes, ces êtres faibles et étourdis incapables de contrôler leur fertilité.
Avec ces deux exemples, on comprend ce que Crenshaw a voulu mettre en lumière : la situation particulière des femmes noires dans les sociétés occidentales. Il ne s’agit évidemment pas d’établir une hiérarchie entre les oppressions et les individus, mais bien de montrer comment différentes oppressions peuvent se croiser et agir sur un individu.
Concentrons-nous sur la France / l’espace féministe francophone. Depuis quelques années émerge un nouveau courant féministe, aujourd’hui connu sous le nom de féminisme intersectionnel. Dans ce courant s’inscrivent par exemple ce magazine ainsi que d’autres, et une quantité de groupes Facebook, d’associations et de militant·e·s connu·e·s. On pourrait définir le féminisme intersectionnel comme un mouvement inclusif, qui accueille en son sein toutes les personnes qui souhaitent lutter contre les différentes oppressions systémiques : racisme (dont l’islamophobie et l’antisémitisme font partie), sexisme, LGBTQ+-phobies, validisme, classisme, etc.
Contrairement aux premières vagues du féminisme, il ne s’agit pas de combattre le sexisme avant tout. Contrairement aux premiers mouvements antiracistes, il ne s’agit pas de combattre le racisme avant tout. Contrairement aux premiers mouvements communistes, il ne s’agit pas de combattre la bourgeoisie avant tout. Évidemment je simplifie et je généralise, mais vous voyez l’idée. Ce qui est intéressant dans ce mouvement, c’est que dans cette optique de convergence des luttes, il n’y a – théoriquement – pas de hiérarchisation. La lutte contre les LGBTQ+-phobies sera par exemple tout autant prise en compte que la lutte contre le sexisme.
Fidèle à l’intersectionnalité telle que théorisée par K. Crenshaw, ce mouvement tâche également de procéder à des analyses qui prennent en compte différentes discriminations. Et c’est parce que nous avons besoin de penser et d’analyser la société et ses discriminations de façon précise et inclusive que l’intersectionnalité est nécessaire.
Personnes et associations importantes :
- Rokhaya Diallo - Amandine Gay - Elsa Dorlin - Françoise Vergès - Lauren Bastide - Eric Fassin
Pour aller plus loin - « Kimberlé Crenshaw, l'intersectionnalité et le féminisme français » - L'article universitaire publié par Kimberlé Crenshaw en 1989 et traduit en français : « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur » - « ''L'égalité dans la différence'' : le féminisme essentialiste, une pensée périmée et excluante » - Tribune « Pour un 8 mars féministe universaliste ! » sur Libération
[…] Margot a fait un bilan complet et important sur « Les différents féminismes en France » sur Roseaux, je garde le lien sous le coude parce que ça me semble être une très […]
manque le feminisme matérialiste Delphy, Mathieu, Wittig
et manque le post feminisme Queer
Bonjour,
Après avoir lu votre article, je me permets de vous écrire puisque j’ai trouvé dommage que le féminisme essentialiste et le féminisme universaliste soient mal expliqués contrairement au féminisme intersectionnel qui est très bien expliqué.
Le féminisme universaliste ou libérale, responsable des avancées législatives, veut l’égalité entre les sexes et l’amélioration du système sans pour autant s’y attaquer. Le mouvement essentialiste est bien moins politique, et met l’expérience féminine (maternité par exemple) au coeur de son analyse, bien plus que la construction sociale des genres.
On découvre votre page rapidement en tapant « courants féministes », il parait donc important que ces mouvements soient plus compréhensibles. En vous remerciant, bonne soirée
[…] https://roseaux.co/2020/03/les-differents-feminismes-en-france/ […]
manque le féminisme matérialiste
[…] Roseaux, Les différents féminismes en France […]
[…] known as egalitarian feminism, this form of feminism militates against the oppression of men over women, particularly in the […]
Et puis en plus de ce qui a été déjà dit plus haut, il manque l’anarcha-féminisme, et le féminisme décolonial : certes, le féminisme décolonial, qu’on peut rapprocher dans les objectifs du féminisme intersectionnel mais qui concerne et provient d’une partie de la population dont qu’on entend déjà bien insuffisamment, alors effacer la spécificité de leur lutte, meh, donc je mettrais quand même.