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Lettre à une sexologue Roseaux, magazine féministe  Janna B



Madame,

Je suis venue vous consulter il y a quelques mois. Je vous écris aujourd’hui car je n’avais pas trouvé le courage jusque là de m’adresser de nouveau à vous. J’ai en effet très mal vécu la séance de « sexologie » que vous m’avez proposée. J’ai souvent pensé qu’il était nécessaire de faire des retours aux docteur·e·s que l’on voit, surtout lorsque l’expérience a été néfaste. Il n’est cependant pas facile de le faire instantanément et c’est pourquoi je vous écris cette lettre. J’espère que vous la considèrerez comme une critique constructive.J’aimerais revenir sur certaines remarques que vous m’avez faites et vous expliquer en quoi elles m’ont été violentes.

 

« Quel est votre problème ? Oui, parce qu’on n’a que 45 minutes, et si au bout des 45 minutes, votre problème n’est toujours pas énoncé, on n’a pas fini !  »

 

J’aimerais rappeler que lorsque l’on va voir un·e sexologue, ou n’importe quel·le docteur·e pour un problème personnel, d’ordre psychologique mais aussi touchant la sexualité et l’intime, on est en position de grande vulnérabilité. Cet accueil moqueur avec une pointe d’autorité ne m’a mise ni à l’aise ni en confiance. D’autant plus que, n’arrivant pas à formuler clairement mon « problème », vous avez ricané gentiment et accepté que je raconte plutôt dans l’ordre chronologique ma problématique (comme je le proposais au début). Je me doute que c’est une méthode de psychothérapie spécifique, mais je ne la trouve pas adaptée pour mon cas, et j’imagine pour d’autres. Il faudrait peut-être penser à la souplesse de vos méthodes, car je pense (à mon humble avis) qu’un rapport d’écoute, de confort et de confiance doit être la base d’une bonne discussion thérapeutique. Ça l’aurait été en tout cas pour moi.

« Pourquoi vous vous êtes forcée ? » à plusieurs reprises, entrecoupé de mes silences et de ma stupéfaction. Vous avez ensuite conclu toute seule « C’est parce que vous vouliez faire comme les jeunes filles de votre âge, c’est ça ? »

Lorsque vous m’avez posé plusieurs fois cette question, je suis restée bouche bée. Pas parce que je ne savais quoi répondre, mais parce que j’étais étonnée du ton que vous avez pris. Un ton culpabilisant. D’autres praticien·ne·s n’ont pas eu ce ton ni cette réaction et ont compris assez vite que mon problème résidait en grande partie dans mon sentiment de culpabilité de « m’être forcée ». Votre question l’a plutôt attisé. Vous sembliez vraiment intriguée par mon comportement : « Mais enfin, pourquoi ? ». Je vous avais pourtant dit que j’étais en couple hétérosexuel exclusif. Je pensais que vous étiez au fait des dynamiques de couple qui vous font vous sentir un peu obligé·e d’assouvir les désirs de l’autre et craindre ses frustrations sexuelles. Je pensais que vous étiez au fait des problématiques liées au consentement, notamment à la gestion de son propre consentement.

 

Votre question m’a fait culpabiliser parce qu’elle laissait entendre que j’étais « active » dans cette action, et donc coupable de mon sort. Elle m’a aussi fait comprendre que mon comportement était incompréhensible, stupide ou inhabituel, selon vous. Pourtant, en en parlant avec d’autres personnes et professionnel·le·s, j’ai bien compris que mon cas n’était pas isolé, mais résultait plutôt d’un rapport au consentement compliqué dû aux différentes pressions sociales et personnelles que l’on vit quotidiennement.Ensuite, la conclusion que vous en avez tirée m’a encore plus étonnée. Je trouve qu’elle fait preuve d’une vision très stéréotypée de la sexualité des « jeunes filles ». On peut parler de la pression sociale que l’on ressent de perdre sa virginité « pas trop tard ». On peut parler de la pression sociale à avoir une sexualité « épanouie » et « fréquente ». On peut parler de la pression sociale et intime qui existe dans un couple à avoir des relations sexuelles et à ne pas « frustrer sa·son partenaire ». On peut parler du sentiment de « devoir » que l’on peut avoir quand on est dans une situation de couple exclusif. Mais « vouloir faire comme les jeunes filles de son âge », ça ne veut rien dire. Ça ne fait sens pour personne. Personne ne se dit « je veux faire comme les jeunes filles de mon âge ». On ne « veut » pas spécialement se forcer pour ressembler à ses copines. On fait des choses parce qu’il existe une pression sociale et personnelle, et on ne se rend pas forcément compte de si on les désire réellement ou non. Par ailleurs, cela n’a pas forcément à voir avec l’âge que j’avais à cette époque : les problèmes liés au consentement peuvent survenir à n’importe quel moment de la vie.

 

Il y a deux façons de voir les choses. Soit on pense qu’on a été « bête » de vouloir suivre une mode, une tendance, un groupe défini (ou non) comme celui des « jeunes filles de son âge ». Et cette vision est condescendante. Ou on peut voir les choses comme un système social qui applique des pressions sur les individus suivant ce que la plupart des gens se font comme idée d’une sexualité d’un genre à un certain âge. Et là, la vision peut éclairer sur son propre comportement dans une situation. Là on peut comprendre « pourquoi » on s’est forcé·e. Et surtout se sortir d’un sentiment de culpabilité. On peut aussi après ça déconstruire toutes ces pressions qui nous empêchent d’avoir accès à notre propre consentement et de se poser la question « de quoi ai-je envie, vraiment ? ».

Quand je vous ai expliqué que, lors d’un rapport physique, si je me sentais mal, j’arrêtais le rapport, vous m’avez dit « Non. Vous ne devez pas faire ça. » Cela m’a violemment surprise. Ce qui m’a traversé l’esprit c’était qu’il m’avait déjà fallu du temps, et un gros travail sur moi-même, pour réussir à arrêter un rapport quand je me sentais mal. Par le passé, j’avais pris pour habitude de refouler cette émotion et de continuer le rapport en faisant comme si de rien n’était, tandis que l’émotion grandissait en moi, et finissait parfois en explosion de larmes. Ceci m’avait valu de perdre de plus en plus mon rapport à mes émotions. Elles m’apparaissaient comme voilées, masquées, cachées. J’avais donc du désapprendre ceci, et me convaincre que j’avais le droit d’écouter mes émotions et d’arrêter un rapport physique avec quelqu’un quand je me sentais mal. Parce que mon mal-être doit passer avant le sentiment de frustration de l’autre. Votre « Non », si sûr de lui, balayait d’une traite cet apprentissage et cette petite reconquête de mon estime personnelle et de ma confiance en moi. Vous n’avez attendu que quelques secondes avant de reprendre la parole, mais j’ai eu le temps de laisser passer toutes ces idées dans ma tête.

 

Enfin vous avez ajouté, après mon silence interloqué : « Votre conjoint, il ne va pas pouvoir supporter une frustration sexuelle et émotionnelle. Vous ne pouvez pas le laisser comme ça. Alors ce que vous faites, c’est que vous le serrez fort dans vos bras, vous lui faites des petits bisous dans le cou et vous lui dites : Mon chéri, désolée, c’est pas pour ce soir, je suis claquée ».

 

Tout d’abord, j’aimerais dire que, de tous.tes mes partenaires récent·e·s, aucun·e ne s’est plaint·e de frustration. Alors, peut-être qu’iels géraient plutôt bien leurs envies sexuelles ou qu’iels avaient assez d’empathie pour mon mal-être pour ne pas avoir l’inconvenance de se plaindre de leurs « frustrations » ou de leurs « pulsions incontrôlables ». Bref, du côté de mes partenaires, aucune frustration problématique. C’est d’ailleurs, entre autres, leur comportement qui m’a permis d’arrêter de culpabiliser sur la « frustration » que je pouvais provoquer sur ma·mon partenaire, et donc m’a aidée à arrêter de me forcer. Je ne comprenais donc pas cette remarque, se basant peut-être sur un stéréotype de l’homme (vous parliez particulièrement de mes relations hétérosexuelles) qui ne peut « supporter une frustration sexuelle et émotionnelle ».

 

Ensuite, j’avoue que j’ai été très surprise de votre recette toute faite à base de « petits bisous dans le cou ». Peut-être que certaines personnes ont besoin de cela pour savoir quoi faire dans ce genre de situation, mais ce n’était pas mon cas. J’ai trouvé cet exemple ridicule et ne correspondant pas à mes relations d’intimité. Je ne m’attendais pas à ce que l’on me donne une marche à suivre assez éloignée de mes modes de communication dans l’intimité. J’ai cru à un sketch. À une caricature de relation hétérosexuelle des années 50. Je ne pensais pas que vous me sortiriez la bonne vieille méthode du Doliprane …

 

« Alors là vous avez un comportement de victime et d’enfant. Il faut se comporter comme une personne responsable et adulte maintenant. »

 

J’ai trouvé cette remarque insultante et infantilisante. Je l’ai ressenti comme on sermonne un enfant pour qu’il « arrête de pleurer maintenant ». Une phrase à l’impératif dépourvue d’empathie qui a encore mis un coup à mon estime personnelle. Par la suite, elle m’a fait réfléchir. Lors d’une formation d’autodéfense féminine, je me suis en effet rendu compte que les femmes ont tendance, en situation d’insécurité, à se percevoir comme des victimes d’avance. Cela vient de quelque chose de bien ancré en nous, quelque chose qu’on nous a appris très jeunes : si on t’agresse tu ne pourras rien faire ; si un homme veut te violer, tu ne pourras pas te défendre. Dans mon cas, l’insécurité venait du fait que je me sentais obligée d’avoir des rapports sexuels avec mon conjoint. Je me sentais coincée, je l’aimais et j’étais sa seule partenaire sexuelle. On pourrait me rétorquer aisément « tu n’es jamais obligée, c’est ton choix, tu peux dire non ». Mais dire non n’est jamais anodin, encore moins facile. Du fait de mon éducation en société sexiste, je ne m’autorisais pas ce choix. J’avais sincèrement l’impression que je ne devais rien faire contre ça. C’est vrai : je me percevais comme une victime, impuissante et incapable. C’est aussi vrai que depuis que j’ai compris ça, j’essaie de me sortir de cette posture. Mais je dois dire que c’est dur, je le vis comme une discipline permanente. Pas simple de se déconditionner, de déconstruire les carcans, de se voir autrement que tout ce que la société nous renvoie. Mais ça porte ses fruits. Et ces petites conquêtes, je les dois au féminisme.

 

Cette réflexion n’est donc pas dépourvue d’intérêt dès qu’on y met une réflexion féministe et une approche sociétale. Mais votre remarque m’a juste renvoyé l’image d’une pleurnicheuse qui se victimise pour ne pas assumer ses responsabilités.

 

Quand je suis sortie, vous avez posé votre main sur mon épaule, vous avez plissé les yeux en une expression de pitié et vous avez dit : « j’espère que je ne vous ai pas trop chamboulée ».

 

J’étais en larme, parce que c’est un sujet qu’il m’est toujours difficile d’aborder et de creuser. J’étais vulnérable, car je partageais ma vie intime et sexuelle avec une inconnue, qui pouvait traiter le sujet comme bon lui semblait. J’étais épuisée par cette séance, et toute la culpabilité et l’infantilisation dont j’avais l’impression d’avoir fait l’objet. Et vous m’avez regardée avec un air de chien battu, se dédouanant totalement de mon état, rangeant ma réaction du côté de mes « symptômes », m’enlevant enfin ma dernière dignité. Je ressentais la pitié que vous éprouviez en me regardant, et elle me donnait une image dévalorisante de ma personne. À l’inverse de ce que vous veniez de me demander, j’avais l’impression d’être une « victime ». Personne n’a envie d’être pris·e en pitié. Personne n’a besoin de la pitié de qui que ce soit. En tout cas, sachez que je ne suis pas allée voir une sexologue pour être prise en pitié.

 

D’autres praticien·ne·s – un gynécologue et une sage-femme – ont eu d’autres réactions, bien plus salutaires pour moi. Iels étaient dans une démarche d’écoute active, me laissant m’exprimer avec mes mots, ma méthode d’explication, posant tout stylo, et évitant tout regard sur l’horloge. D’autre part, iels m’ont délivrée rapidement du fardeau de la culpabilité par de petites phrases toutes simples relevant du bon-sens, quand on y pense deux secondes : « on n’est pas responsable de ses émotions », « on n’a aucun devoir conjugal », « vous n’avez pas à vous sentir coupable de ce qu’il vous arrive, de ce qu’il vous est arrivé ». Iels m’ont considérée comme une personne adulte qui a subi des accidents de parcours, pas comme une personne « irresponsable » qui se comporte comme une « victime ». Surtout, surtout, iels ne m’ont pas prise en pitié, ils ne m’ont pas regardée avec un air navré et ne m’ont fait aucune remarque du type : « ça doit être dur, n’est-ce pas ? Vous le portez tout le temps sur vous ce poids, pas vrai ?  » C’est en effet une des remarques que vous m’avez faites.J’aimerais aussi vous demander de ne pas oublier la posture d’autorité que vous incarnez en tant que médecin et spécialiste. En tant que patient·e, on se met dans une position de vulnérabilité dont il serait inconvenant de profiter. On vous partage des problèmes intimes. On dépose tout bouclier, toute protection, toute façade. On ne vient pas pour se faire plaindre, mais pour avoir des pistes pour se sortir de nos situations complexes. De votre position de pouvoir par rapport à nous, il est facile de nous prendre de haut. Je pense même qu’il est difficile d’y résister. Et puis, si nous avons une réaction de colère ou de tristesse, de par votre comportement, vous pourrez toujours vous rassurer en vous disant que le problème vient de nous. Faites attention à votre rôle, ne tombez pas dans la condescendance.

 

Votre comportement et toutes vos phrases citées précédemment m’ont mise très mal. Pas parce que vous m’aviez « chamboulée ». Mais parce que vous m’aviez culpabilisée et dénigrée.

 

Heureusement que je suis tombée sur d’autres praticien·ne·s plus pertinent·e·s pour mon cas. Ou, tout du moins, qui ont, à partir de leur pratiques (de gynécologue et de sage-femme) et sans prétention, fait un travail de sexothérapie qui m’a aidée à aller mieux. Heureusement aussi que je n’étais pas au début de mon travail sur mes problèmes de consentement. Grâce à des brochures féministes ainsi que de nombreuses conversations avec des ami·e·s et des partenaires, j’avais en effet pu comprendre ce que j’avais vécu : une relation amoureuse dans laquelle je me suis forcée sexuellement pendant près d’un an sous la pression du couple.

 

Afin d'élargir un peu mon propos et vous proposer d'autres visions de la sexualité, je vous invite à lire ces brochures portant sur le consentement.

- « Mon corps est un champs de bataille : dire non n'est jamais anodin » provenant de la revue Timult n.6, p.40 à 47

- « Apprendre le consentement en 3 semaines »

- «  Sexe hétéro et image de soi dans une société patriarcale »

- « Manifeste pour une fin de la malbaise »




Un Commentaire

Harmonie des corps

Témoignage très intéressant de cette femme en souffrance et qui ne trouve pas l’écoute attendue, et qui plus est, se sent complètement jugée par le thérapeute. C’est une double peine pour elle. C’est d’ailleurs toute la difficulté et le besoin d’empathie requit par le métier de thérapeute tel que je le pratique. Il semble cependant que ce ne soit pas le cas de tout praticien qui parfois confond le remplissage du porte-monnaie avec l’écoute et le travail nécessaire avec les patients.

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