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Mon séjour en psychiatrie (2/6)

médicaments et effets secondaires

Roseaux, magazine féministe  Madeleine Sassi



Cet article fait partie du dossier "Mon séjour en psychiatrie".

N.B. : Cet article est le deuxième d’une série (retrouvez le premier ici) consacrée au récit d’un séjour en psychiatrie à Berlin. Elle n’a pas l’ambition de donner une vue d’ensemble ni une analyse du système (allemand) actuel, mais se veut le témoignage d’un séjour riche en apprentissages et en expériences diverses et variées.

 

Assommée

J’ai été hospitalisée un mercredi. Le jeudi, je sortais du service fermé pour aller dans un service ouvert. Dans l’après-midi, j’ai rencontré un des médecins de mon nouveau service, le service 21, accueillant les gens dépressifs. Il m’a prescrit un antidépresseur, et m’a dit de continuer à prendre le soir ce que j’avais commencé à prendre la veille. De quel antidépresseur s’agissait-il ? Quel était le nom du somnifère ? Je n’en avais alors pas la moindre idée, et j’étais de toute façon dans un tel état, physique et psychologique, que ça ne m’intéressait pas, et j’aurais de toute façon été incapable de me rappeler les noms.

« En terme d’effets secondaires de l’antidépresseur, il faut que je vous prévienne, parce que ça peut être violent. Voilà ce qu’il peut se passer : une diarrhée en continu, des maux de tête, des pertes d’équilibre, des problèmes d’appétit et de poids, une disparition de la libido, des somnolences, … »

Malgré le brouillard dans lequel j’étais déjà, je réussis à ouvrir de grands yeux aussi stupéfaits qu’anxieux. « Rassurez-vous, vous n’aurez pas tous les effets secondaires, cela varie d’une personne à l’autre, et ce sera plus ou moins fort. »

Une seule chose m’intéressait alors véritablement : quand est-ce que les véritables effets allaient se manifester ? « Normalement les effets secondaires commencent au bout d’une à deux semaines, les véritables effets au bout de trois à quatre semaines. Mais puisque vous êtes jeune, il est probable que cela aille plus vite. »

Le vendredi matin, je prenais ma première petite pilule blanche. Une demi-dose, pour commencer.

C’est là que j’ai compris que somnifère puissant et antidépresseur ne faisaient pas bon ménage dans un corps fatigué comme le mien. Et c’est alors que je me transformai à mon tour en zombie, à l’instar d’un certain nombre de patient·e·s du service. Du mercredi soir au samedi matin, j’ai flotté en permanence. Je dormais comme un bébé la nuit. La reste du temps, j’avais l’impression d’évoluer dans un énorme nuage, dont je ne voyais pas les extrémités. J’étais incapable de faire quoi que ce soit : mon corps et mon esprit m’avaient lâchée, étaient partis je ne sais où, mais très très loin. Au point que je n’étais même pas en état de m’inquiéter de leur disparition si soudaine.

 

Défoncée

Vingt-quatre heures après la première prise d’antidépresseurs, les premiers effets secondaires commencèrent à se faire sentir. « Puisque vous êtes jeune, il est probable que cela aille plus vite. » Ah ben effectivement.

J’ai passé des jours entiers complètement défoncée. C’était mieux que le meilleur joint du monde. Je passais mes journées au bord du canal, situé en face de la clinique, à observer le mode de vie des cygnes, à les regarder faire la course sur l’eau et faire le poirier pour chercher à manger.

Ai-je fait autre chose pendant ces quelques jours ? Je serais incapable de le dire, parce que je n’en ai aucun souvenir. J’ai seulement le souvenir d’avoir dormi et observé les cygnes et les nuages dans le ciel. Ai-je parlé à des gens ? Ai-je lu ? Ai-je regardé des séries ?

J’étais un véritable robot, et incapable de penser. Quand je me levais, je prenais une douche, puis je buvais un café. Puis je sortais m’installer au bord du canal. De là jusqu’au moment du coucher – où le somnifère m’assommait encore plus – aucun souvenir ne me revient de ces quelques jours.

Je me rappelle juste avoir écrit à mes ami·e·s à quel point c’était de la bonne. Et que maintenant je comprenais les gens qui faisaient du trafic de médicaments.

Au bout d’une semaine, un des médecins, voyant que je supportais bien le traitement – oui, apparemment ça correspond à ça, « bien supporter le traitement » –, a doublé la dose. Et dès la première prise de cette nouvelle dose, alors même que je commençais à peine à avoir l’impression d’atterrir, c’était reparti. Un jour et demi de plus dans le brouillard, le temps que mon corps s’habitue à cette nouvelle dose, le temps d’approfondir mes connaissances sur les cygnes berlinois.

Plus ou moins au même moment, une infirmière, me donnant mon somnifère avant que j’aille dormir, me dit : « Vous savez que ça rend accro ? » La phrase traversa ma défonce pour arriver jusqu’à mon cerveau anesthésié : « Hein ? » « Oui, au bout de deux semaines on devient accro. Vous devriez demander au médecin à prendre autre chose, avant que vous ne deveniez dépendante. »

Le lendemain, je changeais de somnifère, passant à quelque chose de plus léger, et qui n’allait pas me rendre dépendante.

Et c’est alors que mon cerveau décida de faire son grand retour.

 

Perturbée

Au bout de quelques jours, j’eus véritablement l’impression que mon cerveau atterrissait, au sens propre du terme. Il était sorti des nuages et s’était remis en contact avec mon corps. C’est seulement à ce moment-là – peut-être une semaine ou dix jours après avoir commencé le traitement – que je compris la phase que je venais de traverser, et l’impact de la chimie sur le corps et sur le cerveau.

Pendant ces quelques jours, j’avais été complètement défoncée, ça je l’avais senti, mais la défonce m’a également fait réaliser à retardement les autres effets secondaires : j’étais incapable de me concentrer sur quoi que ce soit, mais les brins d’herbe étaient très beaux. Mes yeux partaient régulièrement tous seuls dans le vague, mais je restais des heures à observer les cygnes du canal. Je n’avais aucune énergie et je sentais que je n’avais plus aucun contrôle sur mon corps ni sur mon esprit, mais j’avais envie de sauter sur toutes les personnes attirantes que je croisais.

Moi qui avais toujours eu un très bon équilibre, je me retrouvais soudain à ne pas pouvoir tenir une seconde en équilibre sur un pied.

Je n’ai jamais autant failli me prendre des portes, des murs, des poubelles, des gens. Je n’ai jamais autant tremblé des mains. Je n’ai jamais autant transpiré, autant perçu les odeurs et les sons. Tout me parvient désormais de manière plus accrue : la chaleur, les odeurs de cuisine dans l’hôpital, le bruit des sirènes et des gens dehors.

Et puis évidemment, pile au moment où je commençais à sentir que je remontais la pente, mon moral a rechuté, pendant trois jours.

 

Ressuscitée

J’ai lutté contre cette rechute, de toutes mes forces. Bon, ok, pas au début. Au début, je me suis laissée couler. C’était tellement agréable ! Je n’avais plus à me forcer pour manger, pour aller en thérapie, pour me lever. J’alternais entre mon lit et le bord du canal. Et puis la combattante en moi est venue s’imposer, me faisant comprendre qu’il était inadmissible que je me laisse plonger de nouveau. « Regarde où ça t’a menée il y a deux semaines ! », ne cessait-elle de me répéter.

Alors j’ai pris mon courage à deux mains, j’ai décidé de me relever. Ce n’était qu’une petite rechute, j’étais en mesure de vaincre ça. Ça a été difficile, mais j’ai remonté la pente. J’ai recommencé à manger, à parler aux autres patient·e·s du service, à aller en thérapie.

Bref, j’ai décidé que je n’allais plus me laisser aller et ne plus me laisser contrôler par cette maladie.

Évidemment, tout cela est bien plus facile à dire qu’à faire. Manger me prend la majorité de mon énergie. Chez d’autres, c’est sortir du lit qui est difficile, ou bien sortir du service pour aller en thérapie.

J’ai réfléchi, travaillé sur moi grâce aux outils donnés en thérapie. Et je me suis enfin sentie prête à affronter tout ça. Affronter mes problèmes, affronter mes traumatismes, affronter la dépression.

Alors, pourquoi cet adjectif, « ressuscitée » ? Parce que c’est véritablement comme ça que je l’ai perçu. J’ai eu l’impression que tout le monde ici, médecins, psychologues, infirmier·e·s et patient·e·s, m’a prise par la main et m’a empêchée de sauter. Tou·te·s m’ont fait comprendre, chacun·e à sa manière, que la vie valait le coup.

Alors, évidemment, je ne saute pas (encore) partout, je ne me sens pas du tout prête à rentrer chez moi ni à reprendre le cours de ma vie. Mais je suis entourée de gens formidables, qui m’ont ramenée à la vie et font en sorte que je le reste et que j’aie envie de le rester. Et ça, ça n’a pas de prix.

Depuis bientôt trois semaines que je suis là, la plupart des effets secondaires ont disparu. Mais je me prends toujours des portes, des murs, des poubelles, et des gens. C’était perturbant, c’est devenu matière à rire. L’essentiel c’est que je sois vivante, bien vivante. Les pensées suicidaires qui m’ont conduite ici semblent désormais bien loin, et c’est tant mieux.





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