Féminisme LGBTQ+ Sexe Societé
« Et du coup tu vas bientôt devenir lesbienne ? »

Chroniques de la biphobie ordinaire

Roseaux, magazine féministe  Giphy



TW : biphobie

N.B. : cet article reprenant les remarques biphobes adressées par des personnes qui ne sont généralement pas sensibilisées aux thématiques queer, il est écrit selon une conception binaire du genre (qui est évidemment une construction sociale).

Le militantisme, parmi tous ses avantages, en possède un tout à fait délicieux : nous rendre sensibles, voire hypersensibles, à toute forme d’agression verbale ou physique. Cela a pour effet que je ne laisse plus rien passer. Plus aucune remarque, plus aucun comportement discriminatoire. C’est fatiguant, mais ça a du bon, et ça paye parfois (pensée pour cette vendeuse de gaufres qui traitait son collègue de chochotte, et qui a été surprise que je lui dise que c’était une remarque homophobe).

Et du moment qu’il s’agit de biphobie, non seulement je ne laisse rien passer mais, après avoir soupiré, puis inspiré un coup, j’explique. J’éduque, je fais de la pédagogie, je déconstruis préjugés et a priori.

Florilège des remarques biphobes entendues un peu partout quand on est une femme bie – la plupart des remarques vaut également pour les autres bi·e·s – (tu peux aller voir ici ce qu’est la bisexualité, avant d’aborder la biphobie). Et explications.

 

La bisexualité, ça n’existe pas vraiment, voyons !

« C’est juste une phase / Tu expérimentes / Ça va passer / C’est une mode / Tu fais ça pour te rendre intéressante »

Commençons par une de mes préférées. C’est une phrase qu’une personne, plus âgée que toi en général, te sort en te regardant droit dans les yeux, croyant dur comme fer à ce qu’elle dit. « Ça va passer ». Bien sûr. On en reparle dans 15 ans ? Quelle sera ton explication à ce moment-là ? Non, ça ne passera pas. Ton hétérosexualité ne s’est pas envolée à 30 ans que je sache ? Eh bien c’est pareil pour moi.

Je ne vais pas me réveiller un matin en me disant « Ah mais dis donc, suis-je bête, pourquoi se compliquer la vie ? Pourquoi ne pas être hétéro ? C’est tellement plus simple ». Ce genre de remarques sous-entend que la bisexualité n’existe pas et que, de fait, il s’agit d’une de ces choses pas très futées qu’on fait lorsqu’on est jeune. Moralité : tant que ça ne dure pas longtemps, ce n’est pas trop grave. Sauf que – breaking news – il s’agit d’une orientation romantico-sexuelle aussi valable et légitime que l’hétérosexualité ou l’homosexualité. Ni plus ni moins.

 

« C’est juste que tu n’as pas encore trouvé le bon »

Alias le mythe du prince charmant. Celui qui va arriver pour te sauver sur son beau cheval blanc. Et puis le mariage et les enfants, les goûters d’anniversaire et le judo ou le solfège le mercredi après-midi. Programme tout à fait alléchant. Déjà, le coup de l’âme sœur, ça ne me parle pas. Ou alors au pluriel : de nombreuses personnes rencontrées en soirées m’ont paru être des âmes sœurs parfaites. Pourtant, depuis les soirées en question, on ne s’est plus revu·e·s.

Conclusion ? Aucun homme ne me fera « renoncer » aux autres personnes par lesquelles je suis attirée – parce que c’est clairement ce qui est sous-entendu par cette phrase. Aucun homme, pas même Romain Duris (Romain, si tu me lis et que tu passes un jour par Berlin, n’hésite pas, on peut quand même se voir pour un verre, et plus si affinités, clin d’œil clin d’œil regard lubrique).

Cette remarque contribue à perpétuer l’hétéronormativité ambiante : quoique tu fasses, à un moment donné il faut rentrer dans le rang, tel que défini par la société : un mari, un job moins bien payé que lui, des enfants et un Kangoo.

Je suis désolée, mais aucun homme ne possède suffisamment de qualités au point d’effacer celles de toutes les autres personnes susceptibles de me plaire. Je ne sais pas si je passerai les 10, 20 ou 30 prochaines années seule, en couple, avec un homme, une femme, ou une personne se situant ailleurs sur le spectre du genre. Pour être honnête, cela m’est complètement égal.

Tout le monde veut toujours nous caser, pourtant (un peu de sagesse populaire ne fait pas de mal) je suis tout à fait en accord avec le dicton «  mieux vaut être seul·e que mal accompagné·e ». Il n’est pas question de « trouver le bon », et ainsi de redevenir une petite hétéro parfaite (comment ça on ne change par d’orientation sexuelle ?), il s’agit d’être heureuse, ni plus ni moins. Et ça ne passe pas – nécessairement – par la recherche de l’homme idéal.

 

« En fait tu es juste lesbienne mais tu ne t’assumes pas »

Une phrase souvent entendue dans les milieux LGBT+ – mais pas que. Cela sous-entend que tu es encore à moitié dans le placard. Tu couches et/ou sors avec des hommes pour rassurer ton entourage hétérocentré et possiblement homophobe, et tu couches et/ou sors avec des femmes parce que c’est ta vraie nature et que c’est quand même vachement mieux.

Mais non, en fait, juste non. Être bie ne signifie pas être lesbienne et être encore à moitié dans le placard. En plus de considérer qu’il y a seulement deux genres, cela sous-entend de nouveau qu’il te faut choisir. Cet argument, malheureusement trop répandu au sein de la communauté LGBT+, permet aux homosexuel·le·s de consolider leur identité à travers le rejet de la bisexualité. Historiquement, les homosexuel·le·s se sont défini·e·s par opposition aux hétéros.

Les revendications de légitimité et de visibilité des bi·e·s viennent donc perturber cet ordre établi, et rebattre les cartes. Enfin, ça, c’est la version côté homo. Côté bi, on voit les choses autrement : si les homosexuel·le·s sont parvenu·e·s aujourd’hui à atteindre une certaine visibilité et une acceptation relative – attention, je ne dis pas que c’est la panacée d’être homosexuel·le aujourd’hui – les bi·e·s ont été invisibilisé·e·s au cours de ce processus. Et il faut que cela change.

Voilà pourquoi les bi·e·s doivent se battre contre la biphobie au sein de la communauté LGBT+ en plus de se battre dans la société hétérocentrée.

 

Hypersexualisation : les bi·e·s, ces gens qui baisent tout le temps

« Génial ! Du coup ça te dit, un plan à trois ? »

Oh oui ! Et toi, charmant homme hétéro qui a fait cette remarque, va vite trouver une autre fille, comme ça tu en auras deux à ta disposition toute la nuit, deux pour le prix d’une, elle est pas belle la vie ? Deux jolies femmes qui vont s’embrasser langoureusement, sous tes yeux, juste pour toi, pendant que tu te branles. Sympa ta représentation de la bisexualité féminine, très réaliste. Pas du tout façonnée en fonction de tes désirs personnels.

Aimer les plans à trois n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle. Il y a des bi·e·s qui n’aiment pas ça. D’autres qui aiment bien, de temps en temps, tout comme les hétéros ou les homos. Et puis il y a aussi des bies qui choppent une troisième fille et couchent toutes les trois ensemble, désolée les gars, c’est pas pour vous.

Aimer les plans à trois – ou plus – est une question de goût, pas d’orientation sexuelle. Quel est le rapport, en fait ? Si tu aimes les blondes, les rousses, et les brunes, est-ce que tu vas nécessairement tout le temps avoir envie de coucher avec une blonde, une rousse et une brune à la fois ? Non. Eh bien voilà. Pareil pour nous.

 

Illustration : Louve Souci

« Je comprends mieux pourquoi tu n’es pas fidèle dans tes relations »

Eh oui, quand tu es potentiellement attirée par 100 % de la population, difficile de rester fidèle, hein, forcément. Et si c’était plutôt la société qu’il fallait blâmer, avec son héritage judéo-chrétien consistant à vouloir nous accrocher à une seule autre personne pour le restant de notre vie, dans le seul but de nous reproduire et d’élever notre charmante progéniture ? Être bi·e n’a rien à voir avec le fait d’être fidèle. Si l’on est amoureux·se et engagé·e dans une relation exclusive qui nous convient, pas de raison d’être infidèle. Bi·e ou pas bi·e.

 

« Ce n’est pas trop difficile de se retenir de sauter sur tout le monde ? »

Non ça va, merci de s’inquiéter pour moi, mais une fois que j’ai éliminé les racistes, les sexistes, les LGBT+-phobes, les gens de droites et les macronistes, il reste juste assez de monde pour avoir un peu de choix.

Sérieusement, qui a commencé à propager cet a priori absurde ? Si tu es une femme hétéro, est-ce que tu as envie de sauter sur tous les hommes qui te passent devant ? Non ? Curieux… Une fois de plus, l’orientation sexuelle n’a rien à voir avec la fréquence et la régularité des rapports. Ce n’est pas parce qu’on est bi·e qu’on va forcément avoir envie de sauter sur tout le monde.

Réfléchissez deux minutes : ce n’est pas possible d’être attiré·e par tout le monde en permanence. Intellectuellement, physiquement parlant. C’est tout bonnement absurde. Par ailleurs, un certain nombre de bi·e·s diront que c’est la personnalité des personnes qui les attirent, pas le genre. Critère qui, de fait, élimine directement un certain nombre – voire un nombre important – de personnes.

 

Le cul entre ces deux fameuses chaises

« Mais comment tu peux être sûre, si tu n’as jamais couché / si tu n’es jamais sortie qu’avec des hommes ? »

Et toi, homme condescendant qui me pose cette question déplacée, as-tu eu besoin de coucher avec une femme pour savoir que tu étais hétéro ? Remarquez, ce genre de questions ne vient pas que des hommes. Comme si, du moment qu’on n’est pas hétéro, il s’agissait d’une construction, de quelque chose d’artificiel – et donc, quelque part, de quelque chose d’anormal.

Quand nous sommes enfants, on oblige les petites filles à se projeter dans un futur contenant entre autres un prince charmant. Elles ne sont encore jamais sorties avec personne, pourtant on part du principe que ça va leur plaire. Et si on s’intéressait aux injonctions liées à l’hétéronormativité de notre société, plutôt que de remettre la légitimité de la bisexualité en question en permanence ?

 

« T’es 50 % hétéro 50 % lesbienne, ou plutôt 70 % 30 % ? »

Une autre de mes phrases préférées. Posée par un ex, un dimanche soir, après quelques bières. Il venait d’apprendre que j’étais bie, et avait peur de ne pas pouvoir recoucher avec moi – ce qui était à la base, des deux côtés, le but de la soirée.

Une fois de plus, le concept de la bisexualité est nié, et réduit à un état un peu flou entre les deux monosexualités. Comme si l’on, selon les jours, selon les rencontres, selon notre taux d’alcoolémie, on était hétéro ou homo. Comme si le genre devait toujours occuper une place dominante dans les rapports de séduction. Avec, au passage, l’invisibilisation de toutes les personnes qui ne sont ni (complètement) homme ni (complètement) femme.

 

« Et du coup, tu vas bientôt devenir lesbienne ? »

Du moment que tu commences ne serait-ce qu’à flirter avec des femmes, tu passes de l’autre côté. Tu restes un objet de fantasmes pour les mecs hétéros, mais seulement si tu ne couches pas trop souvent avec des femmes. Sinon tu risquerais de devenir lesbienne. C’est bien connu. Posée par un autre garçon qui avait peur qu’on ne puisse pas coucher ensemble. Je pense que ça commence à être clair, mais au cas où : on ne devient pas lesbienne, on est bi·e et on couche et/ou sort avec qui on veut.

 

« Oh, ça y est, tu es redevenue hétéro ! »

Quand tu couches et/ou sors avec une personne de l’autre genre reconnu par la société (homme ou femme). Peut être complétée par : « tu vois bien que c’était une phase ! ». Eh non, toujours pas ! Être en couple hétéro ne fait pas de toi une personne hétéro pour autant. Juste une personne bie dans une relation hétéro.

 

Allié·e·s en carton

« J’adore The L Word ! »

Sous-entendu : je suis ultra queer-friendly ! Oui, alors, comment dire… Moi aussi j’aime beaucoup cette série. Vraiment. Je suis évidemment amoureuse de Shane. Mais, comme une majorité de bi·e·s ayant vu cette série, je suis également outrée par le traitement réservé au personnage d’Alice : présentée dès le départ comme bisexuelle, son orientation est sans cesse remise en question et est sujette à moqueries de la part de ses amies.

Il en va de même pour Tina, lorsqu’elle se met quelques temps en couple avec un homme (désolée pour le spoiler si tu n’as pas – encore – vu cette série). Bisexualité et fluidité des attirances sont, au mieux, tournées en ridicule, au pire ouvertement raillées et délégitimées.

Donc dire à un·e bi·e « J’adore The L Word » n’est clairement pas la meilleure manière de montrer qu’on est un·e allié·e.

 

« C’est parce que tu as subi un traumatisme étant enfant, c’est ça ? »

Tu ne savais pas ? Si tu es queer, c’est que tu as subi un traumatisme quand tu étais enfant. Comment ça, ça n’a pas de sens ?

Au-delà de l’absurdité manifeste d’une telle phrase, il suffit de regarder autour de soi pour se persuader du contraire : je connais plein de personnes queers qui ont vécu une enfance tout à fait tranquille et épanouissante. Et j’en connais plein d’autres qui ont eu une enfance difficile, mais comme plein d’enfants hétéros, en fait.

 

« C’est comment avec une autre femme ? C’est vraiment différent ? Tu préfères quoi ? Raconte ! »

Faisons une distinction : je parle beaucoup de cul avec certain·e·s potes, c’est toujours fait respectueusement et avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision. Le problème n’est donc pas là.

Le problème réside dans le fait que, dès lors que ta sexualité sort de ce carcan normatif nommé hétéronormativité, elle devient questionnable – et questionnée. Les gens s’interrogent. C’est vrai, quoi, tu ne peux pas nous raconter ce que ça fait de coucher avec une femme ? Comment ça, c’est privé et on ne se connaît pas assez ? On travaille ensemble depuis au moins deux semaines ! Mais allez, dis, c’est mieux ? Elle te fait jouir plus vite que les mecs avec qui tu as couché ?

Et ainsi de suite. Ces questions – d’une indécence exaspérante – mêlent curiosité malsaine, voyeurisme et ignorance. Elles semblent – parfois – partir d’un bon sentiment, d’une volonté de s’informer sur la communauté LGBT+. Mais la plupart du temps, elle ne débouchent que sur une curiosité malsaine et vulgaire.

(Spoiler : oui, avec une femme, c’est mieux. Allez, bisous les rageux.)

 

« Au fond je crois qu’on est tou·te·s bi·e·s »

Au début, j’avais beaucoup de mal à répondre à cette phrase-là. À part balbutier un « mais… non… » peu convaincant, je ne savais pas quoi dire. Aujourd’hui, 40 coming out et 400 remarques biphobes plus tard, je réponds par la provocation : « Ah bon ? Sérieux ? Mince alors, pourquoi est-ce que je m’embête à faire mon coming out alors ? Et du coup, toi, tu as déjà couché avec un·e autre mec/meuf ? C’était bien ? Raconte ! ». En général, ça calme.

Pourquoi cette phrase est-elle biphobe ? Tout simplement parce qu’elle nie l’existence de la bisexualité comme orientation romantico-sexuelle à part entière. Nous ne nous sommes pas tou·te·s bi·e·s – et pourtant je ne serais pas contre ! –, c’est un fait. Alors pourquoi vouloir d’une part nous dire que nous sommes d’anciens enfants traumatisés, et d’autre part vouloir étendre la bisexualité à l’ensemble de la société ?

 

 

 

« Ça veut dire que tu as déjà eu envie de coucher avec moi ? »

P’têtre bien que oui, p’têtre bien que non. Tu ne le sauras jamais, puisque cette question m’a coupé l’envie – si envie il y avait. Puisque j’ai manifestement envie de coucher avec tout le monde, j’ai trouvé une méthode très simple pour faire le tri : je ne couche pas avec les biphobes. Problem solved.

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer





Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.