Culture
The Morning Show : culture du viol et jeux de pouvoir, deux ans après #MeToo Roseaux, magazine féministe  Copyright Apple TV+



Cet article fait partie du dossier "Roseaux regarde".
C’est l’histoire d’une plateforme de vidéo à la demande qui voulait jouer dans la cour des grands. D’un budget colossal mis au service d’une série au casting stratosphérique et aux décors magistraux. Et d’une thématique casse-gueule au possible. The Morning Show, c’est une série produite par Apple TV+ (oui, ça existe), avec plein de bonnes choses dedans (et des moins bonnes, mais on y reviendra), et ça s’attaque au monde d’après #MeToo, rien que ça. 

J’ai entendu parler de cette série via le compte Instagram de Jennifer Aniston, et pour être honnête, je n’ai pas vraiment eu envie de la regarder. Peut-être parce que la promotion d’Aniston se bornait à pas grand-chose en dehors du casting et des remerciements d’usage, mais j’étais passée à côté de l’essentiel et il m’a fallu un confinememt et une pénurie de puzzles pour finalement y donner une chance. J’ai lancé le premier épisode, sans a priori, et j’ai été happée avant même le générique d’ouverture. 

De quoi ça parle ? D’une chaîne de télé américaine et de son show matinal, (qui s’appelle donc The Morning Show), au matin où le scandale arrive. Mitch Kessler, co-présentateur vedette de l’émission, a été accusé de ce qu’on appellera pudiquement pendant 8 épisodes « sexual misconduct » (soit « inconduite sexuelle », une façon drôlement mignonne de ne pas nommer les abus, les viols, les agressions, et de tout mettre dans le même sac). L’info est publique et Mitch Kessler est viré sur-le-champ. Le petit monde bien policé de l’émission, avec son lot de silences complices, s’effondre – place aux questions qui blessent, au déni, aux accusations, aux mensonges…

Comme je ne voudrais pas trop spoiler l’intrigue, je vous donne 5 bonnes raisons de regarder The Morning Show qui ne dévoilent pas trop d’éléments majeurs 

1. Parce que c’est écrit, réalisé, produit et joué par des femmes 

Bien sûr, les équipes sont mixtes et la réalisation des épisodes ne revient pas à une seule réalisatrice, et il y a quelques HSBC parmi les producteurs, mais bon sang ce que ça fait du bien de voir un casting aussi équilibré autant dans les rôles principaux que dans les coulisses. Bien évidemment, TMS passe le test de Bechdel haut la main, mais le contraire serait un peu désolant au vu de la thématique.

2. Parce que Jennifer Aniston a vieilli

Et que rien n’essaie de le cacher. Le personnage joué par Aniston, Alex Levy, est une journaliste accomplie, qui présente le Morning Show aux côtés de Mitch Kessler (joué par Steve Carrell). Levy est une femme dans la cinquantaine, jouée par une femme dans la cinquantaine. Mimi Leder, la réalisatrice des premiers épisodes, attarde sa caméra sur les mains de l’actrice. Des mains qui ne cachent pas leurs taches de vieillesse, puissantes, majestueuses. Je suis restée en admiration devant ces mains en gros plan, qui à elles seules disent toute l’expérience d’Alex Levy.

3. Parce que Gugu Mbatha-Raw

Gugu Mbatha-Raw joue Hannah Shoenfeld, l’une des personnages principales. Elle crevait déjà l’écran dans San Junipero (de loin mon épisode préféré de Black Mirror avec de la romance lesbienne dedans), et elle apporte une intensité à la série qui va crescendo au fil des épisodes. Hannah, c’est une des petites mains du Morning Show. Elle n’a pas le pouvoir d’Alex Levy ni la grande gueule de Bradley Jackson, la journaliste jouée par Reese Witherspoon, elle fait super bien son taf, boit des verres avec ses collègues, ne prend pas les stagiaires de haut – une fille normale. Et absolument éblouissante, par la magie de Mbatha-Raw. 

4. Parce que c’est si jouissif de regarder des vieux mecs blancs tortiller du cul en haut de leur tour d’ivoire

Non mais vraiment. Ils ont le pouvoir, l’argent, l’impunité, du plus loin qu’ils se souviennent. Ils sont à tous les étages de la hiérarchie. Et ils serrent les fesses très, très fort et regardant la tempête se déchaîner. Ils condamnent fermement, applaudissent la décision de virer Kessler, promettent des mesures, assurent qu’ils ne savaient rien – pensez-vous, ils auraient agi ! Et derrière l’air tantôt compatissant, tantôt condamnant, on peut presque sentir l’odeur aigre qui émane de leur chemise tant leur tension est palpable. Eh bien, monsieur, on est mal à l’aise ? C’est vraiment trop dommage.

5. Parce que la parole donnée aux agresseurs est juste

Elle est juste parce que dégueulasse, et montrée comme telle. Le personnage de Mitch Kessler se sent injustement accusé, sacrifié sur l’autel de #MeToo aux côtés d’autres gens qui, eux, sont de vrais prédateurs, de vrais violeurs, de vrais salauds, lui, il ne se voit pas en agresseur, il est sûr qu’il y avait consentement, sûr qu’elles étaient contentes, même qu’elles en ont profité, il est droit comme un i, debout, seul au milieu des décombres, et jamais il n’est beau, Mitch, jamais il ne fait de la peine, jamais il ne pousse à l’excès de compassion. Mais la parole lui est donnée et c’est important, terriblement important, de montrer ce que pensent les monstres.

Alors oui, on pourrait trouver plein de défauts à la série. Le début est un peu long. Certains plot twists sont incroyablement prévisibles. Les personnages de couleur sont bien là, mais un peu au second plan (même si la série a l’habileté d’admettre que « tout le monde adore l’histoire de Cendrillon, à condition que ce soit une fille blanche »). Le personnage de Mitch Kessler est inregardable (ou est-ce Steve Carrel qui est insupportable ?). Ça pourrait aller tellement plus loin, plus fort, plus en profondeur. 

Mais quand même. On n’a pas fini de parler de #MeToo, on n’a pas fini de parler des rapports de pouvoir, on n’a pas fini d’analyser les rapports dangereux, malsains, de la hiérarchie et du sexe. Et puis Gugu Mbatha-Raw, merde. 

Si vous voulez regarder la série, vous pouvez profiter d'une semaine d'essai gratuite sur Apple TV+ mais n'oubliez pas d'annuler votre abonnement si vous ne voulez pas payer toute l'année !




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