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Je n'ai jamais voulu d'enfants (et je n'en voudrai jamais). Roseaux, magazine féministe  Agathe



Visiblement, cette phrase est difficile à entendre.

Personne, ou presque, n’a remis en question d’autres décisions, beaucoup plus importantes à mon sens : faire telles études, ne pas faire telle école, quitter Paris, quitter mon boulot en CDI, toutes les décisions essentielles et casse-gueule de ma vie, j’ai eu de la chance, j’ai toujours eu ne serait-ce qu’un peu de soutien, mais du soutien quand même.

Dès qu’il s’agit de nos utérus, du sujet sacré de la descendance, zéro. Les médecins qui te disent que quand même, un implant à ton âge. Je vous préviens, il a dit. Venez pas dans six mois me dire que vous voulez l’enlever parce qu’entre-temps vous voulez des gosses. Il a dit.

J’avais vingt-trois ans et pas des masses de répartie, alors le médecin je lui ai dit heuuu. Je regrette un peu.

Encore la semaine dernière, j’ai eu cette conversation douloureuse. Ce pote qui, lui, ne peut pas, voudrait tant. M’en voulait presque.

Oui, je peux probablement avoir des enfants. Je n’en sais rien, je n’ai jamais été enceinte. Mais il y a de grande chance que toute ma tuyauterie soit opérationnelle.

Ça ne me donne pas un devoir absolu de l’utiliser.

Avec le temps, j’ai entendu tous les arguments possibles, toutes les phrases toutes faites sur la question, du coup, j’ai aussi eu le temps de roder un peu mes réponses. Sers-toi, c’est cadeau.

Tu es trop jeune pour savoir ce que
tu veux et tu vas changer d’avis.

Je ne sais pas si les gens qui prononcent cette phrase se rendent compte à quel point elle est méprisante, infantilisante et paternaliste. C’est un peu la même chose quand tu dis que t’es pas hétéro et qu’on te répond que c’est juste une phase, tu te cherches encore.

Oui, savoir ce qu’on veut dans la vie – ou ce qu’on ne veut pas – c’est possible. Avoir des certitudes, même à vingt ans, c’est possible. Vous m’avez crue quand à quinze ans j’ai rempli des choix pour décider de mon cursus universitaire ? Pourquoi vous ne me croyiez plus quand, cinq ans plus tard, je vous disais je ne veux pas d’enfants ?

Vous leur dites, aussi, aux personnes qui disent plus tard j’aurai des enfants qu’iels changeront forcément d’avis parce qu’iels ne peuvent pas avoir de certitudes à vingt ans ?

 

« Tu penses ça parce que tu ne sais pas de quoi tu parles »

 

Tu n’as pas encore rencontré le bon /
tu vas rencontrer un mec qui veut des enfants
et tu vas changer d’avis.

Alors.

Non.

Non, non, non, non.

Par pitié.

D’une, bonjour l’hétérocentrisme, hein. Et le cissexisme au passage.

De deux, sous-entendre que le désir d’enfant naît de la rencontre avec la bonne personne, ça veut dire qu’être une bonne personne = susciter un comportement attendu, soit vouloir des enfants. La bonne personne, donc, remet les brebis égarées dans le droit chemin. Super.

Ça veut aussi dire que mon désir serait influencé, voire piloté, par mon mec. Re-super.

Pour moi, la bonne personne est bonne parce qu’elle me fait rire et qu’elle m’intéresse et qu’elle me respecte et qu’elle a des tas de qualités et qu’elle m’en trouve des tas aussi. La bonne personne, c’est celle dont j’ai la patience de supporter la tronche avant d’avoir bu mon café du matin, de manière répétée. Pas celle qui me fera rentrer dans les clous du schéma social imposé. Et puis des bonnes personnes, j’espère bien en croiser plus d’une dans ma vie.

 

« Mais je suis l’élu »

 

Tu vas avoir trente ans et tu vas changer d’avis.

Ça, c’est un peu le corollaire direct du premier argument, mais avec une petite note perverse : tu es bientôt périmée, ma chérie. La ménopause approche, et surtout, ton capital de désirabilité baisse de manière exponentielle une fois passée la date fatidique des trente printemps. Ta fertilité baisse, et que je te case du bullshit pseudo-médical sur le fait que les enfants qu’on fait après trente ans sont moins sains, moins beaux, moins intelligents, moins développés. J’ai envie de te dire cause toujours – tu me parles d’un truc hypothétique et qui n’existe que dans ton monde, pas dans le mien. Dans mon monde, je n’ai pas d’enfant tout court, ni bien ni mal développé. Et merci pour tes considérations validistes, qui sous-entendent que c’est mal d’être ce que tu appelles moins développé – au-delà du fait que l’âge auquel se passe la grossesse a bon dos, comme si c’était un critère imparable et vérifié.

 

« J’ai donné l’impression que j’en avais quelque chose à foutre ? »

 

Un jour il sera trop tard et tu le regretteras.

 

Non mais ça, c’est vous qui projetez vos fantasmes et vos traumatismes sur moi. Regretter quoi ? Avoir des enfants n’est une condition ni suffisante ni nécessaire au bonheur. Je peux te citer plein de gens qui regrettent d’avoir eu des enfants, et plein de gens qui vécurent heureux toute leur vie sans être passés par cette case-là. Le bonheur, c’est unique et personnel, et ça n’a rien à voir avec l’enfantement.

Je ne dis pas que les gens qui sont heureux parce qu’iels ont des enfants se trompent, hein. Juste que ça n’est pas la seule source possible de bonheur dans la vie.

 

« Je ne regrette rien ! »

 

C’est égoïste.

 

Honnêtement, je trouve que la décision d’en avoir est bien plus bouleversante que celle de ne pas en avoir, mais ça n’est que mon avis. Et plus égoïste – ou narcissique – de vouloir se reproduire. Un autre moi, en plus petit, sur lequel j’ai du contrôle ? Une preuve que mon couple est fonctionnel ? Un moyen de m’assurer que mon mec ne me quittera pas, ne disparaîtra jamais de ma vie ? Un moyen d’alimenter mon compte Instagram ? Oui, un bébé, c’est un peu tout ça. Pas seulement, bien sûr, mais qu’on ne me serve pas l’égoïsme à toutes les sauces.

Je n’ai pas de place dans ma vie pour un enfant, et aucune intention d’y changer quoi que ce soit. Je veux dormir la nuit, partir en voyage, travailler tard le soir, oublier de rentrer chez moi, glander dans ma baignoire, je veux garder la spontanéité et la paresse qui font les beaux jours de ma jeunesse. Et je n’en serai jamais désolée. Si c’est égoïste de ne pas s’imposer un truc dont on n’a pas envie, on part dans une très mauvaise direction.

 

 

Je n’entends personne dire Mais tu es sûre que tu veux des enfants un jour mais et si tu regrettes quand il sera trop tard comment tu vas faire tu vas être malheureuse toute ta vie c’est égoïste de vouloir des enfants un jour et si jamais tu rencontres un mec qui n’en veut pas c’est sûr tu changeras d’avis et si tu rencontres pas de mec du tout t’auras l’air malin hein tu changeras d’avis.

Et heureusement.

Cette décision – cette envie ou non – est toujours légitime. Je suis très heureuses pour les gens qui veulent des enfants et réussissent à en avoir. Je compatis de tout mon cœur à la douleur de celleux pour qui c’est un rêve de toujours et qui ne peuvent pas.

Mais foutez-nous la paix, s’il vous plait.

Cessez de toujours finir ma phrase à ma place quand je dis je ne veux pas d’enfant, cessez d’y mettre un pour le moment qui vous rassure peut-être mais qui m’invalide à chaque fois. Je ne veux pas d’enfants, jamais, aujourd’hui comme il y a dix ans. J’ai des tas de raisons, évidemment, mais la principale restera toujours : je n’en ai pas envie.

Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas entendre cette phrase dans la bouche d’une femme ? Jusqu’à quand allons-nous renier à toutes les femmes la légitimité fondamentale à décider par et pour elles-mêmes de ne pas enfanter ? Qu’est-ce que ça change pour vous qu’une femme prenne une décision qui ne regarde qu’elle ? Est-ce qu’il ne serait pas franchement grand temps d’arrêter de considérer l’enfantement comme la finalité ultime de « la femme » et sa seule validité ?

Oui, si un jour j’ai un·e partenaire pour qui faire un enfant est un désir non négociable, iel sera légitime dans son désir. Mais iel ne sera pas l’amour de ma vie.

Et tu sais quoi ? Je m’en remettrai.





3 commentaires

Natacha

Bonjour
J ai 44 ans, j ai pas d enfants, j en ai jamais voulus et je regrette absolument pas mon choix.
J ‘ ai 4 chats que j adore et je craque pas du tout pour les bébés.
Mes frères et sœurs ont des enfants et je les envies pas du tout ! Quand je vois l énergie qu’ ils dépensent au quotidien pour ne pas avoir de reconnaissance en retour ça donne pas envie.
Ouf j ai échappé à ça ! Je me dis.
Faire des enfants est un dont de soi pour eux, il faut en être sacrément conscient pour ne pas en faire des malheureux en les négligeant.
Comme tu dis la pression sociale veut nous faire culpabiliser de ne pas en faire alors qu’on fait du mal à personne. Ils feraient bien de s’occuper des parents négligeants qui continuent de se reproduire. Voilà on fait ce qu’on veut heureusement, ne culpabilise surtout pas.

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jo

Bonjour,

A mes yeux, les enfants sont une « responsabilité » que je n’ai aucune envie d’assumer. Pas envie de perdre ma tranquillité, ma liberté.
Avoir des enfants n’est pas une décision à prendre à la légère pourtant quand je vois le nombre d’abrutis qui en font juste pour se fondre dans la masse! Et qui sont dépassés, incapables de les assumer pleinement, c’est surtout cela le tragique!
J’ai même eu un : « Tu as le droit d’en faire tard(j’ai 44 ans), toute seule, y a des aides »….Le summum de la connerie! Alors que je n’ai JAMAIS dit que j’en voulais! et c’est cela qui dérange. Le droit d’avoir le choix. Le droit d’être libre de décider pour mon corps et la façon dont je conçois MON bonheur! Sauf que ces mêmes abrutis (qui essaient de se débarrasser de leurs mioches dès qu’ils le peuvent…) m’affirment que le bonheur est justement là! ben non…Le regretter? Ben non…Pourquoi ? Parce que lorsque je serai vieille, rabougrie à moitié cinglée et impotente (et oui, nous sommes dans les clichés hein…) mes gosses viendront s’occuper de moi et me torcher le cul? C’est pour ça qu’ils font des gosses? S’assurer du service après-vente de la jeunesse? Je suis épanouie, heureuse dans la vie (riche et pleine de surprises) que j’ai décidé de mener. Ce que je suis n’est certainement pas dans la douleur de ne pas être mère…

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