Le corps des femmes est une problématique fondamentale du combat féministe depuis ses origines. Tantôt ignoré voire nié, tantôt au centre des revendications, il révèle un rapport des femmes à elles-mêmes et au monde, est un canal recevant les violences du patriarcat, mais également un outil de lutte. Plus encore à la suite du mouvement #metoo qui a réaffirmé le principe selon lequel « le privé est politique ». L’intime est politique. Camille Froidevaux-Metterie, professeure de sciences politiques à l’université de Reims Champagne-Ardennes, explore ce qu’elle désigne comme le sixième combat du féminisme, survenant après la bataille du vote, la bataille de la procréation, la bataille du travail, la bataille de la famille et la bataille du genre : la bataille de l’intime.
En quelque cent cinquante pages, Camille Froidevaux-Metterie aborde une grande variété de sujets liés au corps des femmes : de la « première fois » au refus de la maternité en passant par la ménopause, la PMA (Procréation médicalement assistée) et la GPA (Gestation pour autrui), des seins au clitoris, chaque thématique est traitée dans une perspective historique, sociologique et philosophique. L’autrice part du principe que dans le monde occidental, les femmes ont obtenu l’égalité au niveau de la loi et les rôles dans le domaine public et privé sont de moins en moins sexualisés – ce à quoi on peut opposer quelques réserves malgré les progrès observés ces dernières années. Dès lors, un terrain à (re)conquérir reste celui du corps, de l’intime, que les femmes ont commencé à réinvestir au fil des années et plus encore depuis l’affaire Weinstein.
Il semble que nous sommes là face à l’une des dernières grandes inégalités : le corps des hommes est et demeure une ressource quand le corps des femmes est et demeure un fardeau. Il nous reste donc une révolution à connaître (et à mener), celle de la désexualisation de la façon dont nous percevons les corps et dont nous vivons notre propre corporéité.
Il s’agit surtout, dans cet essai, de voir comment le rapport des femmes à leur corps a évolué et ce que cela révèle, tout en sortant de la traditionnelle dichotomie nature/culture. En effet, Camille Froidevaux-Metterie tente de réconcilier des discours encore trop antigonistes, considérant le corps des femmes comme à la fois « vecteur d’aliénation » et « lieu d’émancipation ». Ainsi, la maternité et le maquillage, souvent associés à l’aliénation, pourraient être vecteurs de puissance et permettre aux femmes de réinvestir leur corps. Elle considère par exemple que « par le travail quotidien qu’elle fait sur son apparence, une femme entre dans un processus d’enrichissement de son être qui passe par le choix qu’elle fait d’une autoreprésentation d’elle-même. » Ce point de vue invite à considérer le corps des femmes pour lui-même, et non au travers du male gaze (regard de l’homme), remettant par la même occasion en cause le principe de la féminité.
En toute cohérence féministe, la liberté conquise doit aussi s’appliquer aux modalités de la représentation physique de soi. Cela implique de remettre en cause certains réflexes qui font des “signes extérieurs de féminité” des alliés indéfectibles de la domination masculine. Cela implique surtout d’en terminer avec cette fichue féminité qui s’accroche aux chevilles des femmes comme un boulet.
L’autrice propose également une théorie philosophique inspirée de la phénoménologie, faisant du corps un vecteur de l’expérience de soi et de l’expérience du monde. Contrairement à la phénoménologie traditionnelle, qui prend le corps comme universel – donc masculin – le féminisme incarné de Camille Froidevaux-Metterie prend en compte la sexuation du corps, les discriminations que subissent les femmes du fait de leur corps biologique. Et ce qu’elle entend proposer est une libération par la réappropriation de ce corps soumis aux injonctions et aux violences du patriarcat.
Seule limite de cet essai : si l’autrice précise à de très nombreuses reprises que ses propos ne s’appliquent qu’au monde occidental, elle présente ce dernier de manière très uniforme, alors que l’on sait que la condition de femme n’est pas vécue de la même manière par une femme blanche et une femme racisée, par une femme pauvre et par une femme riche, par une femme cis et par une femme trans, par une femme grosse et par une femme mince, par une femme handicapée et par une femme valide[1]. Certaines de ces questions sont rapidement abordées – notamment la grossophobie et le validisme – mais de manière trop rapide et peu approfondie en comparaison avec le reste des sujets traités. Bien qu’un tel essai ne puisse être exhaustif – et l’autrice ne prétend nullement à l’exhaustivité – penser le féminisme sans intersectionnalité semble impossible en 2020. Le corps des femmes. La bataille de l’intime reste néanmoins un excellent essai qui ouvre des perspectives extrêmement intéressantes sur la réappropriation de son corps en tant que femme et sur les combats à mener dans les années à venir !
Le corps des femmes. La bataille de l’intime, Camille Froidevaux-Metterie, Philosophie Magazine Éditeur, 2018, 14,90€. Acheter le livre
[1] Si tous ces sujets vous intéressent, vous trouverez plein d’infos sur bafe.fr.
C’est une cause à porter encore et encore sur le devant de la scène pour que les mentalités évoluent positivement.
[…] Enfin, sur Roseaux, je recommande cet article de Mathilde Berg : « Le corps des femmes. La bataille de l’intime : un manifeste philosophique pour un « fé… ». […]