J’ai écrit cette lettre à mon ex, en imaginant avoir un jour le courage de lui envoyer. Aujourd’hui, je préfère plutôt la publier. Je parle de non-consentement dans un couple hétéro, de résilience et de reconstruction. En espérant que ce texte puisse aider d’autres à se reconstruire, tout comme d’autres lectures l’ont fait pour moi.
Tu me demandes si ça va. Via messenger, à l’écrit, avec un continent d’écart entre nous. Je réponds d’abord machinalement. J’attends quelques jours, mais tu ne réponds plus.
Attention cet article contient des passages qui peuvent être difficiles à lire (violences sexuelles).
Alors, puisque tu me le demandes, autant te le dire, au-delà des politesses et des usages. Je suis au plus mal. En surface, ça va. Matériellement, mon quotidien, mes choix de vie, ça va. Tout va pour le mieux. Là-dessous, c’est plus tendu. Il y a des choses qui me rongent. Depuis longtemps. Et qui refont surface avec violence, dernièrement. C’est simple, quand j’y repense, quand j’en parle, je me mets à pleurer à gros sanglots, et ça peut durer quelques heures, sans que ça me soulage. Ça ne s’arrête pas. Puisque tu me le demandes, autant te le dire.
Autant te le dire, parce que tu es concerné. Depuis quatre ans, ça ne va pas. Depuis toi, j’ai mal.
J’ai mal au dos, constamment, mes épaules, mes cervicales, mes lombaires. Il paraît que cette douleur viendrait du fait que certains muscles ne se relâchent jamais. On dit qu’ils sont « en vigilance ». Il paraît aussi que c’est parce que je serre les dents. Des expressions qui me parlent.
Depuis toi, j’ai mal au sexe, au « vestibule », c’est l’entrée du vagin. Il paraît que ça s’appelle une vestibulite, et que c’est une douleur psychologique, dont on n’a pas à chercher très loin la signification. Ça me rappelle constamment une notion importante, que j’ai commencée à apprendre – très difficilement – après toi : ne fais rien rentrer dans ton vagin si tu n’en as pas envie. Je n’en ai jamais eu envie. Ni avec toi, ni après.
Depuis toi, j’ai mal à mes rapports sexuels, ils démarrent bien, sont excitants, voulus puis ils se finissent très souvent en pleurs, en angoisses, mais ça, tu t’en souviens j’imagine, puisque ça a démarré avec toi.
Depuis toi, j’ai mal à mes relations amoureuses, celles qui deviennent régulières et importantes, celles qui me rappellent le couple qu’on a été, et toutes les pressions qui y étaient liées. Pression sociale à avoir une sexualité régulière et normée. Pression du couple à satisfaire son conjoint. Pression affective, parce que je t’aimais sincèrement, que je voulais te faire plaisir, et que je refusais que tu te sentes mal, déçu, frustré. J’ai mal à mon passé douloureux. J’ai mal à mon présent encore plein de cicatrices. J’ai mal à mon futur que je n’arrive pas à imaginer autrement que sans issue de ce côté-là. Il y a quelques semaines, j’ai reçu un mail qui passait sur une mailing list féministe de ma ville. C’était un appel à participation à une discussion autour du thème « survivre, riposter et se reconstruire après une agression sexuelle ». L’atelier avait pour objectif de nourrir de témoignages un manuel à l’intention des femmes sur tout ce qu’elles pourraient vivre, notamment dans leur rapport à leur corps. Quelques jours avant l’atelier, ces femmes ont renvoyé un mail pour dire qu’elles avaient peu de participantes. J’ai répondu, très rapidement, en coup de vent, avant de partir pour un week-end en festival.
« Je suis intéressée pour participer à cet atelier. Pour les infos demandées, j'ai 24 ans, je suis une femme cis, je suis française d'origine française, et je suis bie. Je me sens concernée par la thématique, mais pour être sûre que je suis "dans le thème", ou pour la question d'avoir des profils et/ou histoires variées, je peux résumer un peu. J'ai vécu une situation de couple dans laquelle j'ai eu des rapports sexuels non consentis pendant un an, du fait de la pression du couple, la pression à "perdre sa virginité", la pression "subtile" de mon copain de l'époque ("frustrations" etc.). Pendant longtemps je me suis culpabilisée en voyant la situation comme "je me suis forcée pendant un an". Bref, la question touche aussi au consentement, qui commence par l'écoute de son propre consentement... Par la suite, en lisant des brochures féministes, je me suis rendu compte que mes ressentis et mes vécus ressemblaient beaucoup à ceux des femmes ayant subi un viol (le fait de "dissocier" par exemple). Et ça me parle beaucoup d'échanger sur les moyens de survivre, se reconstruire… J'aurais un peu de trucs à dire, et je suis super intéressée par les expériences et méthodes des autres ! »
En écrivant, j’ai réalisé que j’étais en larmes. On m’a répondu tout de suite, en me donnant un numéro et un lieu de rendez-vous. Ok, j’étais dans les clous.
Pendant un an, j’avais fait du sexe sans mon consentement et ça a eu les mêmes conséquences sur moi qu’un viol. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à mettre le mot « agression sexuelle » dessus, et je continue à dire que « je me suis forcée », à mettre toute la responsabilité sur moi. Double peine : souffrance et culpabilité. Je pensais que ton comportement était normal. Mais après toi, je ne suis jamais retombée sur quelqu’un·e qui m’ait mis autant de pression. Je ne pense pas que tu en aies eu conscience. Si je n’étais pas informée sur la notion de consentement, tu ne l’étais pas non plus. Et on s’est plantés là dessus. On n’avait pas d’expérience, on gérait mal nos excitations, on ne connaissait pas nos corps, nos envies, nos besoins, nos limites. Je crois qu’on a essayé de prendre notre temps, des précautions, de faire attention, mais ça n’a pas suffi visiblement. Je me souviens malgré tout d’avoir exprimé plusieurs fois le fait que la pénétration vaginale ne me procurait aucun plaisir, voire me faisait mal.
Je me souviens de phrases que j’ai eues en réponse : « Je pense qu’il faut qu’on le fasse plus, et plus souvent, pour que ça marche de mieux en mieux. » « J’ai envie de faire l’amour plus souvent avec toi. » « C’est toujours toi qui décides de quand on fait l’amour. »
Je me souviens que la pénétration me semblait une évidence et une obligation absolue pour une sexualité épanouie et un couple hétéro heureux. Je me souviens d’avis extérieurs qui disaient : « Si ça ne marche pas sexuellement, le couple ne peut pas durer. » Je me souviens m’être dit qu’il fallait que je persévère, que je fasse un effort, que je me motive, que j’y « mette du mien »…
J’imagine que pour toi, ça devait aussi être ce qui aurait dû me satisfaire le plus. Sinon, on aurait arrêté d’essayer après autant d’échecs, non ? Je me souviens qu’à chaque fois qu’on se touchait, j’avais la sensation d’une épée de Damoclès sur le sexe. Je me souviens que, plus j’essayais de dompter mon malaise, plus il grandissait, grandissait et me submergeait. Je me souviens de la sensation de sortir de mon corps, de le regarder d’en haut, s’agiter, gémir, en un mot le regarder simuler, pour ne surtout pas stopper le rapport au milieu, pour toi. Je me souviens que le seul moyen efficace que j’ai trouvé pour montrer que je ne voulais plus, ça a été d’arrêter ma pilule. Mais ça correspondait aussi au début de la fin de notre relation. Ça n’allait plus émotionnellement, alors je me suis sentie plus légitime de stopper les rapports sexuels de pénétration.
Un mois après, je te quittais. Et la seule chose que j’ai ressentie a été un immense soulagement. Ce jour-là, j’ai pris une décision : je ne ferai plus de pénétration jusqu’à ce que j’en ressente une envie et un désir clair. Le mettre en pratique a été super difficile. Il m’a fallu, et il me faut encore, de la patience avec moi et avec mon corps. J’ai appris que le corps garde une mémoire. J’ai trouvé très difficile de désapprendre à me forcer. Avec toi, j’avais établi une stratégie bien rodée pour assourdir toutes les alarmes corporelles, taire la douleur et la peur. Je suivais un scénario physique pour coller à ce que je pensais être une sexualité normale et attendue par l’autre. Je n’avais plus aucune idée de ce que je désirais, de ce que j’aimais, de ce que je voulais. J’avais pris l’habitude de sortir de mon corps si besoin, de « dissocier » et j’essayais de tenir le plus longtemps possible avant l’explosion de larmes.
Dans mes relations sexuelles qui ont suivi, j’ai eu la chance de tomber sur des personnes qui ont très bien compris cette condition : pas de pénétration. Iels l’ont acceptée, l’ont respectée, n’ont jamais essayé de la transgresser, voire certain·es même m’ont remerciée car, selon elleux, ça apportait quelque chose de différent dans le rapport, quelque chose de chouette à expérimenter. Certains ont réagi en riant et en disant qu’ils ne voyaient pas où était le problème. D’autres ont participé à ma reconstruction en me soutenant que si je ne retirais aucun plaisir, iels n’étaient surtout pas intéressé·es par le rapport. Certain·es m’ont dit que la pénétration n’étaient pas la pratique qu’iels préféraient. Certain·es m’ont assuré que la pénétration n’était pas un objectif, ni dans un rapport, ni dans une relation sur plus long terme « tu sais, entre nous, ça peut aussi ne jamais arriver, je m’en fiche ». Aucun·e ne m’a fait ressentir sa frustration, aucun·e ne me l’a fait peser. Aucun·e ne m’a culpabilisée de mon malaise, de mes crises de panique, ou du fait que je stoppais le rapport subitement. J’ai fait un deuxième travail, sur les cicatrices du corps, avec des médecins bienveillant·es, de bon conseil, et qui ne segmentent pas strictement le corps et le psychologique.
J’en suis à une troisième phase : chercher comment soigner le passé. Je n’ai pas encore trouvé, mais je cherche. Ces expériences m’ont appris, petit à petit, à renouer le contact avec mon corps, à le réintégrer, écouter ses envies et ses alarmes, respecter ses limites et ses particularités. Je galère toujours un peu, parfois beaucoup, mais je peux noter quelques victoires. Je les dois aux rencontres, mais aussi aux lectures féministes.
Aujourd’hui je ne me force (presque) plus, et j’ai appris des choses sur mon corps, et sur moi. Mon corps et moi. C’est incroyable comme je les vois toujours comme deux entités distinctes. Distinctes, mais amies, c’est là où j’en suis.
Merci pour ce partage qui m’a vraiment fait du bien. Du bien parce que ça a un certain côté soulageant de voir qu’on n’est pas seule dans cette situation si difficile à gérer. Alors merci, merci et merci encore. Je te souhaite de tout coeur de panser tes plaies et de parvenir à avancer.
Waouh, cette lecture fait vraiment chaud au cœur, je souhaite que la reconstruction de cette personne se fasse au mieux et qu’elle arrivera à soigner toutes ses blessures. Courage en tout cas, elle est sur la bonne voix.
Merci de l’avoir partagé, je suis entrain ( j’essaie) de me reconstruire. Mais je bloque.. j’aimerais pouvoir exprimer ce que je ressens, ce que j’ai vécu mais je n’arrive pas à le mettre à l’écrit, encore moins à en parler.. J’espère que comme toi j’avancerai.
En tout cas, merci beaucoup!