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"Ça raconte Sarah", une fiction lesbienne, déroutante et bouleversante Roseaux, magazine féministe  Le Parisien



Cet article fait partie du dossier "Roseaux lit".
À toute vitesse. Dans une course effrénée, ça raconte Sarah, ses yeux verts mais non pas verts, l’amour, le sexe, ça raconte Sarah, ses paupières tombantes, ses cigarettes, et encore plus vite, ça raconte Sarah, une rencontre qui rompt la latence, l’amour entre deux femmes, le sexe entre deux femmes et toujours plus intensément, ça raconte Sarah.

 

Frénésie, ardeur, passion : de ce trio ressort la beauté d’aimer une femme.

 

« L’amour avec une femme : une tempête. »
Extrait 22., page 35

 

Ça raconte Sarah, dans un souffle, dans un cri.

Puis le tout s’essouffle, ralentit, la course folle se délite, l’amour délétère prend ses marques. La vision de Marguerite Duras (avec un clin d’œil à « l’enfant ») si tranchante, si dure, rattrape les héroïnes, grignote leur amour… Finalement, l’amour est destructeur.

La lecture se finit haletante, dans un déchirement implacable.

Ça raconte Sarah est l’un de ces chefs-d’œuvre que l’on referme avec douleur. Alors, on relit encore et encore la dernière phrase, les derniers mots qui meurent en silence.

Ce roman est bouleversant, il est à lui seul la quintessence des amours fulgurantes, la furieuse envie de vivre passionnément, d’aimer tout, crûment. D’un ton majestueux, il réussit à dire l’indicible, à émouvoir aux larmes, à étinceler.

 

« Après la première nuit, être loin d’elle devient une aberration. »
Extrait 24., page 36

 

On porte ce livre à bout de bras, à bout de souffle. Et l’on ne peut que souligner qu’il ne sublime pas seulement les amours lesbiennes, il les salue bien bas, il leur offre des scènes de sexe cultes, précises et à la hauteur de leurs passions dévorantes.

 

«  J’ai mal tant j’ai envie d’elle, tant je brûle de la renverser sur un lit, de défaire le bouton de son pantalon et d’approcher ma bouche de ce qui m’émerveille. Elle pose une main sur ma nuque, quand je caresse son sexe avec ma langue, elle imprime un mouvement qui part de ses hanches et qui me donne le tournis, qui fait valdinguer tout le décor autour.  »
Extrait 40., page 51

 

Ce premier livre de Pauline Delabroy-Allard est éclatant et de loin celui qui aura le plus marqué la rentrée littéraire sur les amours lesbiennes, criantes de sincérité. Il montre et démontre la flamboyance des relations entre femmes sans jamais tomber dans l’écueil de la différence, de l’autre, de l’étrangeté. Et la volonté de l’autrice est respectée : « Je voulais qu’on lise cette histoire comme un amour tout court et non comme un manifeste lesbien. C’est plus politique de montrer ce qu’est une passion, au-delà du sexe des protagonistes » (lire le portrait de l’autrice ici). Ce roman dit le grand amour et ouvre un infini de possibles. Pour que les femmes n’arrêtent plus jamais de s’aimer.

 

Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard, Les éditions de Minuit

Ça raconte Sarah, sa beauté mystérieuse, son nez cassant de doux rapace, ses yeux comme des cailloux, verts, mais non, pas verts, ses yeux d’une couleur insolite, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte Sarah la fougue, Sarah la passion, Sarah le soufre, ça raconte le moment précis où l’allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l’étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, un basculement d’une seconde à peine. Ça raconte Sarah, de symbole : S.

192 pages, 15 €
ISBN : 9782707344755




2 commentaires

Colune

J’ai lu Ca raconte Sarah et je suis surprise que les féministes n’aient pas la même analyse que moi : ça raconte Sarah, ça raconte surtout l’histoire de violences conjugales et d’une relations toxique, que l’autrice (et les critiques) font passer pour une passion amoureuse… Ca m’a vraiment dérangée, parce que je trouve le personnage de Sarah malsain : elle a à plusieurs reprises des comportements violents verbalement et physiquement et ça m’énerve que sans aucun recul, on appelle ça « de la passion amoureuse »….

Réponse
Juliette

Bonjour Colune,
En effet, c’est toujours le risque avec ce mythe de la « passion amoureuse », des relents malsains s’y terrent toujours un peu. En revanche, je n’ai pas lu ce roman par ce biais-là (même si je comprends tout à fait ta remarque) et je vais essayer d’expliquer pourquoi.
*** Attention SPOILER ***
Sarah se comporte de manière impulsive, ses réactions sont parfois perçues comme violentes par la narratrice. On peut donc en déduire qu’il y a quelque chose de toxique entre elles mais plusieurs éléments entrent en compte.
Si ce roman se construit sur un amour douloureux, exigeant et étouffant, il parle aussi de maladie et de mort (si l’on pousse un peu la réflexion, on est presque en plein dans une tragédie grecque, les personnages sont emportés dans une tourmente et la belle passion finit en drame). Et pour moi, c’est d’ailleurs tout le propos, une passion qui détruit mais qui sort tout de même des schémas habituels, de ce que l’on a l’habitude de lire. Et pas seulement parce que ce sont deux femmes mais parce qu’elles ont chacune des personnalités complexes, différentes et à bien des aspects, surprenantes.
Si je peux percevoir ce qui t’a donné cette impression de relation toxique, je ne peux pas définir ce roman comme tel. Déjà parce que les aspects violents de la personnalité de Sarah font face à la relation étouffante vers laquelle tend la narratrice, ensuite parce que Sarah la quitte et fuit cette relation qui devient malsaine. Elle veut tenir éloignée la narratrice de sa personnalité destructrice.
J’espère avoir donné quelques éléments de réponse, merci beaucoup pour ton commentaire très intéressant et à bientôt sur Roseaux !

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