Féminisme Societé Témoignages
Un jour comme un autre

les violences conjugales au quotidien

Roseaux, magazine féministe  Nora Bussigny



Ce jeudi-là, j’ai eu vingt ans.

Loin de moi l’envie d’entonner une multitude de chansons prêtant toutes leurs paroles à cet âge facile, néanmoins j’avais l’assurance que j’étais promise à quelque chose à ma hauteur, et j’étais grande.

Grande de corps et de cœur, à défaut d’esprit. Car si j’en avais eu, ne serait-ce qu’un zeste, j’aurais su ce que je saurai aujourd’hui.

Ce jeudi-là, j’ai eu vingt mots.

« Je t’aime et tu m’aimes, alors marions-nous dans vingt jours, pour le meilleur et pour le rire ».

Qui aurait pu dire non à une telle déflagration de passion ? Bien évidemment n’importe quelle fille réaliste. Mais ces filles réalistes, il les nommait pessimistes. « Et toi Guillerette, tu croques la vie à pleine dents ! ». Mais elle me mordrait, elle aussi. Comme quoi il ne faut pas se fier à la tournure joviale d’une expression, les crocs de la vie étant les plus tranchants.

Ce jeudi-là, j’ai eu vingt signes.

Qui s’envolèrent bien assez vite avant même que je ne les saisisse. Et ce n’était pas sa raideur en me voyant savourer une énième coupe sous le regard luisant de mes parents émus. Encore moins la pression qu’il tenait d’une main et infligeait à la mienne de l’autre. Toutes ces alertes, qui tentèrent d’ébranler mon instinct aussi vacillant que moi après notre bref échange dans un couloir désert, je les bâillonnais d’espoir.

Il n’aime pas quand je bois, c’est pour mon bien. Il n’aime pas comme je m’habille, c’est pour son bien. Il n’aime pas quand je suis sans lui, c’est pour notre bien. Et notre bien lia nos biens et tout ce qui pouvait lier ce que j’étais à ce que nous serions. L’amour comme un lien, et je n’étais rien sans nous. C’est en me saisissant que je l’avais bien saisi.

Ce jeudi-là j’ai eu vingt bleus.

Bleu sur le Blanc de ma peau devenue Rouge.

Ce jeudi-là, j’ai eu vingt ans ferme.

Enfermée par un geôlier, bourreau et juge. La cour d’assise à lui seul, assis chaque soir à côté de moi.

Pas de libération anticipée, malgré une bonne conduite. Car après tout, on a vingt ans quand on tue, et j’avais tué mes vingt ans.

Ce jeudi-là, c’était il y a vingt ans.

Aujourd’hui je ne les ai plus, et même alors qu’il a plu, je découvre que tous les jeudis grisâtres se vêtissent de lumière pour peu qu’on les savoure.

Et même si vingt n’est qu’un nombre, c’est en dégustant enfin un verre de vin que j’ai compris que vingt ce n’était pas vain.





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