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Cheveux afros : « Aujourd’hui, c’est un engagement politique involontaire. » Roseaux, magazine féministe



 

Aimie et Suzon, 22 et 25 ans, sont sœurs. Leur mère est blanche et leur père afrodescendant, mais il n’a jamais connu la partie noire de sa famille. Hasard de la génétique : Suzon a les cheveux lisses et Aimie les cheveux afros. De la honte à l’acceptation, en passant par une formation de coiffeuse, la relation d’Aimie à ses cheveux a beaucoup évolué. Discussion.

 

Suzon : Quel est le premier souvenir que tu aies de tes cheveux ?

Aimie : Quand on étaient petites, je me souviens de toi qui ne voulais pas te laisser démêler les cheveux, et moi non plus d’ailleurs. À l’époque j’avais les cheveux très longs et plein de nœuds. Du coup Maman avait dû me les couper.

Est-ce qu’il y a un moment précis où tu t’es rendu compte que pour certaines personnes tes cheveux étaient particuliers ?

Oui, à l’entrée à l’école primaire. Les autres élèves ont commencé à m’exposer leur « point de vue » par rapport à mes cheveux.

 

Iels te disaient quoi ?

A : Que mes cheveux ressemblaient à une éponge, un mouton, de la moquette… Iels touchaient mes cheveux en disant que c’était bizarre.

Les professeur·e·s étaient au courant ?

Non, ça se passait plutôt dans la cour de récré. Je pense que s’iels avaient été au courant iels auraient dit quelque chose.

 

Mais toi, tu ne leur en as jamais parlé ?

Non.

 

Est-ce que sur le moment ça te rendait triste, énervée ?

Ça ne me rendait pas triste non, c’est juste que je ne comprenais pas. J’ai toujours eu ces cheveux là donc pour moi il n’y avait rien à en dire. Je ne comprenais pas pourquoi autant d’intérêt.

 

Comment ça s’est passé dans la suite de ta scolarité ?

Au collège, j’ai eu beaucoup de mal à accepter mes cheveux. Ce n’est pas que je ne les aimais pas, mais pour moi avec des cheveux comme ça, je n’étais pas une fille.

 

Parce que tu n’avais pas les cheveux qui tombent sur les épaules et volent au vent ?

Exactement. Du coup je mettais tout le temps des bandeaux, et je dormais carrément avec. J’ai d’ailleurs un souvenir de vacances avec Papa qui m’a traumatisée. Il voulait que j’enlève mon bandeau, sûrement pour aller dans la piscine. Et je me disais « Mais ça ne va pas ou quoi ? C’est pas possible, je ne vais pas l’enlever ! » Personne ne comprenait.

 

Justement, je voulais savoir comment ça se passait à la maison (même si je connais un petit peu la réponse). Puisque Papa ne s’est jamais vraiment occupé de ses cheveux crépus et que maman a les cheveux lisses, comment on a géré ça ?

C’est vrai qu’avec des cheveux afro, on est un peu jeté·e·s dans la nature. C’est maman qui s’occupait de ma coiffure, comme elle pouvait.

 

Je me rappelle qu’une fois elle avait payé quelqu’un pour te faire des tresses.

Oh non, je l’avais sorti de ma tête ! Ah, ça… mon dieu. J’ai souffert pendant cinq heures pour finir avec des faux cheveux couleur caramel, c’était immonde. C’est vrai que j’ai l’habitude que mes cheveux soient tirés et tressés depuis toute petite. Mais là… c’était vraiment affreux.

 

Et c’était quoi cette coiffure exactement ? Tu avais des tresses et ensuite des extensions ?

Oui c’est ça, pour que j’aie les cheveux longs et lisses.

 

Et ça, tu n’avais pas aimé.

Ce n’est pas que je n’ai pas aimé, c’est que ce n’est pas moi. Oui, je voulais des cheveux lisses parce que tout le monde avait des cheveux lisses, mais une fois que je les ai eus, je n’ai pas aimé du tout ! Ça ne va pas avec mon visage, ce n’est pas logique pour moi.

 

Tu as eu l’impression de manquer de représentation de personnes noires dans ton enfance ?

Complètement. Quand j’étais petite, je ne savais pas me situer. C’est vrai qu’on est pas obligé·e de se situer quelque part, mais quand tu es jeune tu as souvent envie de te mettre dans une case, parce que tout le monde dois rentrer dans un moule. Et toi ton moule, tu ne sais pas lequel c’est. Parce que tu n’es ni blanche ni noire, que tu as des cheveux noirs mais une peau claire. Des blancs m’ont déjà dit « Ça va, t’es claire quand même. » Ou alors, dans l’autre sens : « Mais comment tu fais avec tes cheveux ? ! Ça doit être la galère, ma pauvre. »

 

Tu as beaucoup de réflexions par rapport à tes cheveux ?

Oui, beaucoup. Les gens se permettent de dire tout ce qu’iels pensent. Beaucoup me demandent de les toucher, et certaines personnes le font sans me demander. La plupart du temps, ce sont des ami·e·s d’ami·e·s. Ils les touchent et font des remarques du genre « Et du coup ça ne tombe pas vers le bas ? ». Je me suis déjà pris la tête à cause de ça. Ces gens n’ont jamais vu de Noir·e·s de leur vie ou quoi ?

 

Tu qualifies ça d’actes racistes ?

Ça fait parti du racisme ordinaire, oui. Ces gens ne pensent pas forcément à mal, pour elleux c’est normal.

 

Tu as fait une formation de coiffure en alternance (CAP et BP). Comment on été vus tes cheveux dans ce milieu ?

On m’a dit que si je voulais être prise dans le salon en alternance, il fallait que je me fasse défriser les cheveux. Donc je l’ai fait. Maman m’avait accompagnée, j’avais pleuré. C’était l’horreur. Après je me suis habituée aux cheveux lisses. Enfin je dis « lisses », mais ils étaient juste morts, en fait. Le but, c’était d’être le plus blanc possible, parce que c’est « plus vendeur ».

Comment tu expliques que ce défrisage ait été aussi violent pour toi ?

Parce que ça me brulait le crâne (rires). Et parce qu’encore une fois, ce n’était pas moi. Quand je me suis regardée dans le miroir, j’avais un carré avec une frange. C’était horrible. La première semaine, je ne me reconnaissais pas, je me faisais peur. Après, tu t’habitues.

 

À partir de quel moment tu as décidé de garder tes cheveux naturels ?

Dès que j’ai eu mon CAP et que je savais que j’avais été prise dans un autre salon pour passer mon BP, je me suis rasé la tête.

 

Parce que tu savais que là ce ne serait plus un problème.

Là, concrètement, je n’en avais plus rien à faire. J’étais plus mature, je pouvais me défendre. Alors qu’à 15 ans, quand tu cherches un·e patron·ne et qu’on te dit de te défriser les cheveux pour être prise, tu le fais. Parce que ton avenir ne tient qu’à ça.

Tu regrettes de l’avoir fait ?

Non, je ne le regrette parce que j’ai pu m’amuser. J’ai testé différentes coupes et couleurs, j’ai essayé plein de choses. Et finalement j’ai pu récupérer mes cheveux naturels, donc il n’y a rien à regretter. Et puis, ce n’était que pour deux ans. Si ça avait duré dix ans, je n’aurais pas tenu.

 

Dans le cadre de tes cours de coiffure, est-ce que tu as eu une formation pour les cheveux afros ou même juste bouclés ?

Quand on coupe, on n’a qu’un modèle : des mannequins blanches aux yeux bleus et aux cheveux raides.

 

Même pas de cheveux bouclés ?

Non. Ça, tu l’apprends directement en salon.
Après, on a quand même les cours théoriques, où on étudie le cheveux dit « négroides », et tous les autres types de cheveux. Mais quand vient la pratique, c’est vrai que tout se fait sur cheveux lisses.

 

En gros, les personnes qui veulent se former à coiffer les cheveux afros doivent forcément le faire sur le tas ?

Oui, et encore. Il faut déjà être dans un salon qui utilise des produits afros. Si il y en a, ça veut dire que les employé·e·s savent les coiffer et que tu pourras apprendre. Mais ce n’est pas le cas partout. Il y a plein de salons qui ont peur des cheveux bouclés. J’ai déjà vu une blanche avec des longs cheveux bouclés arriver au salon, ça a fait paniquer tout le monde. Pour mes collègues c’était absolument impossible, on ne pouvait pas la coiffer. Il y a vraiment plein de coiffeu·r·se·s qui ne savent pas couper les cheveux bouclés.

 

Parce qu’on ne leur a pas appris.

Après, quand on ne sait pas, on peux aussi chercher à apprendre. Quand on est coiffeu·r·se, on est censé·e faire des recherches, se tenir au courant des nouveautés… Il y a aussi plein de stages et de formations. Et puis maintenant on a Internet : plus d’excuses.

Mais il faut dire qu’aujourd’hui, les choses avancent. Il y a beaucoup plus de produits destinés aux cheveux afros, comme Mizani ou Niwel par exemple.

Et toi ces infos, tu les as trouvées sur Internet ?

Non, je l’ai appris dans le deuxième salon dans lequel j’ai travaillé. On vendait ces produits-là. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai été prise, parce que j’avais les cheveux afros. Il n’y avait aucune blanche dans ce salon car cette marque est particulièrement destinée aux personnes racisées.

 

Comment tu prends soin de tes cheveux maintenant ?

Depuis que j’ai arrêté la coiffure, je ne suis jamais retournée chez lea coiffeu·r·se, je ne peux pas. Une seule personne a réussi à me les couper correctement. Le problème, c’est que les coiffeu·r·se·s utilisent la même logique que pour les cheveux lisses. Sauf que quand on coupe un cheveux crépu et qu’il est mouillé, il sera beaucoup plus court une fois séché. Personne ne prend cela en compte. Au final, je les coupe toute seule.

 

 

Tu n’as jamais pensé à aller dans un salon pour cheveux afros ?

Si, je sais que je peux trouver des salons où on me coupera bien les cheveux. Le problème est plutôt financier. L’entretien des cheveux afros coûte beaucoup plus cher. Les personnes aux cheveux crépus dépensent souvent énormément d’argent pour leurs cheveux, même en les gardant au naturel. Pour obtenir ce que l’on veut, on a besoin de nombreux produits, notamment hydratants. On dépense plus en produits qu’en coiffure. Du coup, le budget est multiplié. Sans oublier que comme j’ai une formation de coiffeuse, je suis aussi très exigeante.

 

Comment tu es passée d’une petite fille qui n’aimait pas ces cheveux à une femme qui en est fière ?

Ça s’est fait dans les premières années de mon apprentissage, naturellement, en grandissant. Internet m’a beaucoup aidée, je me suis rendue compte que je n’étais pas seule. Maintenant c’est vrai que dès que j’entends la moindre petite pique sur mes cheveux, je réponds, je ne laisse rien passer.

Maintenant, les cheveux bouclés ou crépus au naturel redeviennent à la mode. Nombre de mes amie·e·s noir·e·s et arabes gardent leur cheveux naturels alors qu’iels les ont défrisé·e·s pendant des années.

 

Est-ce que c’est juste par effet de mode, ou aussi parce que la question des cheveux naturels est mise en avant sur Internet en ce moment, notamment dans les milieux afroféministes ?

Pour moi, c’est les deux. On revient à ce côté naturel, parce que c’est ce qu’on est. Mais bien sûr, il y a un effet de mode aussi : avec le bio, le « healthy », le « no make up »…

 

Qu’est-ce que tu aimerais dire à des femmes qui ont les cheveux afros mais ont du mal à les assumer ?

Il faut d’abord essayer d’entretenir ses cheveux au naturel. Non, tes cheveux ne seront jamais lisses. Et si le rendu naturel ne te plait pas, tu peux transformer tes cheveux de mille façons : avec des rajouts, des tresses… Pour moi, ce n’est pas un problème de ne pas garder ses cheveux au naturel, tant qu’on les accepte et qu’on ne les modifie pas pour les cacher. On peut jouer avec différentes coiffures, comme on le ferait avec du maquillage.

 

Est-ce que pour toi il y a dimension politique à garder tes cheveux naturels ?

Aujourd’hui oui, c’est un engagement politique involontaire, parce que finalement c’est assez rare. Mais dans plusieurs années, quand cela sera banalisé et qu’on aura un véritable choix, ça sera juste une simple coiffure.

 

Comment faire évoluer les choses ?

Si j’ai un enfant avec des cheveux bouclés, je lui expliquerai tout cela. Aujourd’hui, les jeunes prennent conscience des différentes oppressions. Par exemple, on est nombreux·ses à manger moins de viande, ça rentre dans nos mœurs. C’est notre génération qui fera changer les choses.

 

 

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