Je me souviens peu des dates, je ne me souviens pas du jour précis. J’avais 17 ans, c’est sûr, et un jour j’ai décidé d’arrêter de porter tout vêtement qui pouvait s’associer à la féminité. J’ai décidé d’arrêter de porter des talons, des jupes, des décolletés, décidé de cesser de me charbonner les yeux de noir, d’eye liner, de peindre mes lèvres.
Pourquoi ?
Cette décision, c’était comme donner un coup pied dans le tas. J’en avais marre du harcèlement de rue, j’étais fatiguée du regard des hommes sur moi et je n’étais pas à l’aise avec le fait d’être une femme, si être une femme impliquait être vulnérable à leur désir.
Ça s’est fait du jour au lendemain. Moi qui mimais pendant longtemps une féminité pour me rendre plus intéressante, pour ne pas être invisible à coté de mes copines. Une féminité qui me plaçait dans le moule des filles de mon lycée : je m’habillais comme elles donc j’étais comme elles. Paradoxalement c’était une manière de cacher également mon milieu social, quand je m’habillais comme tout le monde, je ne sortais pas du lot.
Et puis, je ne sais pas si c’était le regard de trop, la remarque de trop dans la rue, ou bien cette fois encore ou un ami d’amis m’a lourdement draguée à une soirée car j’étais selon lui trop féminine pour être lesbienne.
Ou bien, j’en avais marre de ne pas m’intégrer dans ma communauté, que les filles du Troisième Lieu (un bar lesbien à Paris qui a fermé depuis) ne me prennent pas au sérieux.
Je commençais une nouvelle relation, j’étais bien dans mes baskets, je n’avais plus besoin de faire semblant. Alors j’ai coupé mes cheveux court, je me suis acheté des boyfriends et des baggys, une veste de costard, des T-shirts et des chemises rayon homme. Et ça a tout changé. J’avais l’impression de respirer.
Bien sûr j’avais encore droit à des regards, des remarques, mais d’un coup je marchais plus droit, je ne baissais plus aussi automatiquement la tête. Je n’avais plus aussi peur. Être presque libérée du désir des hommes m’a laissé l’espace de m’interroger sur mes propres goûts. Aimais-je les vêtements ? Qu’est ce que je trouvais flatteur sur ma silhouette ? Est-ce que je pouvais porter du rouge à lèvres sans me sentir déguisée ? (la réponse est oui, mais ça a pris un temps incroyable).
Aussi, le fait de ne pas exposer mon épiderme aux yeux de chacun a changé mon regard sur mon corps. D’un coup il était devenu précieux, j’aimais le fait de le partager uniquement avec la personne qui m’était intime. J’ai pour la première fois compris qu’il m’appartenait. (attention je ne juge pas du tout les personnes qui s’habillent de manière plus dénudée, c’est juste mon expérience à moi)
Un point délicat, mais très important à aborder ici est la honte. J’ai en quelque sorte été libérée de la honte qui me collait en permanence à la peau. Désormais je savais que si ce mec me sifflait c’est parce qu’il était une ordure, pas parce que ma jupe était trop courte. Je savais aussi que si cet ami avait eu un geste déplacé à mon égard c’est parce qu’il ne me respectait pas, pas uniquement parce que mon apparence laissait planer un doute sur mon orientation sexuelle (je ne pense plus du tout ça maintenant, mais le vêtement m’a aidé à l’époque à me positionner en tant que femme homosexuelle).
Et puis j’ai grandi, et dans mes vêtements, j’avais l’air d’un garçon de 14 ans. J’ai du adapter mon style à une vie professionnelle, à des rencontres. J’ai découvert le pantalon taille haute, les crops-tops, les cols roulés. Mais je ne me suis plus jamais dénudée dans la rue. Le vêtement c’est ma carapace, c’est le filtre entre le monde et moi, et même si, encore aujourd’hui, encore plus dans le monde pro, c’est très difficile de distinguer une conversation amicale avec un homme d’un flirt.
Je ne me sens plus déguisée, donc davantage moi-même, donc davantage à même de dire non, de ne plus sourire quand je me sens mal à l’aise (bon j’avoue j’y travaille encore), de ne plus me plier au désir des autres.
Pour moi le vêtement est politique. Il m’a aidée à changer mon rapport à mon entourage, à trouver ma place dans la société. Il m’a aidée à distinguer ce que doit être une femme de ce que je suis en réalité.
Alors portons ce qui nous plait et dénouons les mécanismes sociaux qui nous poussent à porter des vêtements qui ne nous représentent pas. Car bien sûr parfois, quand tout va bien, les vêtements n’ont pas une grande importance. Mais souvent, quand on doute, quand on a peur, quand on ne se sent pas à l’aise, ils s’avèrent être de très bons compagnons de route.