Féminisme LGBTQ+ Témoignages
Témoignage d'un·e
non binaire
Roseaux, magazine féministe  Laureen



Je m’appelle Laureen. J’ai 24 ans. À ma naissance, le personnel médical a décidé que j’étais une fille, sur base de mes organes génitaux. Cette parole a eu valeur d’expert, personne n’a jamais remis en question cette assignation. J’ai grandi comme beaucoup d’enfants, sans doute : j’ai joué, j’ai fait des erreurs, j’ai appris. J’ai notamment appris à me définir à partir des codes de la société.

Durant mon enfance, déjà, j’ai remis en question ces codes. Il y avait des jouets pour les filles et des jouets pour les garçons. Je trouvais ça ridicule, je jouais autant avec des poupées qu’avec des petites voitures. Et je lisais aussi, beaucoup. Je pense que la lecture est un élément déterminant dans l’évolution de ma personne.

À l’adolescence, on m’a très vite mis une étiquette de « rebelle ». Moi-même, je me définissais comme « une femme non conventionnelle ». J’ai toujours été pacifiste, mais je refusais les définitions et les rôles imposés par la société sur base de mon genre assigné. J’ai d’ailleurs questionné mon orientation sexuelle dès les premières attirances, préférant des figures masculines androgynes… avant de m’engager dans des relations avec des femmes. Mais je n’avais pas atteint la pleine satisfaction quant au fait de me définir en tant que « lesbienne ». Sans réponse, j’ai repoussé mes questionnements à une date ultérieure.

À l’âge adulte – d’un point de vue juridique du moins –, j’ai davantage questionné ce que la société nous impose. J’ai porté mon intérêt sur le féminisme, j’ai engagé de mon temps dans la cause LGBT+… et de plus en plus sur ce fameux « T ». J’avais encore une vision très binaire à l’époque, et je concevais encore la transidentité comme le fait de transiter d’un genre féminin à masculin ou d’un genre masculin à féminin.

C’est en m’intéressant à la transidentité que des lumières se sont progressivement allumées dans mon esprit.

D’abord, dans le but de mieux comprendre mon orientation sexuelle. Ce fut effectivement utile : je me définis depuis près d’un an et demi à travers la sapiosexualité, c’est-à-dire le fait d’éprouver une attirance sexuelle dans une connexion spirituelle et/ou intellectuelle avec une autre personne, et une volonté de fusionner les esprits. À ce moment-là, je disais que le genre n’avait pas de sens pour moi. Ce n’était pas totalement ça.

Ensuite, pour mieux comprendre mon identité de genre.

Il y a quelques mois, à l’âge de 23 ans, j’ai découvert la notion de non binarité : le fait de ne pas se reconnaître dans le genre assigné à la naissance, mais pas non plus dans « l’autre » genre habituellement assigné. Autrement dit, être non binaire, c’est se sentir d’un autre genre qu’homme ou femme. Je suis une personne non binaire.

Je vous invite à relire mes propos : à part les étiquettes placées entre guillemets, je n’ai rien accordé au féminin ou au masculin. J’ai volontairement employé des termes neutres. En vérité, j’emploie systématiquement l’écriture inclusive pour me désigner. Mes pronoms sont iel, saon, maon… (clin d’œil à une amie qui m’appelle « maou Laureen », ce que je trouve absolument adorable). Depuis peu, également, je me suis trouvé un nouveau prénom. Pas neutre, comme je le voulais à la base, mais un prénom masculin, tout simplement parce que ça a été comme une évidence quand je l’ai trouvé.

Découvrir ma non binarité a été une véritable libération pour moi. Je n’avais jamais réalisé le poids que j’avais sur les épaules. Et d’ailleurs, à l’instant où j’écris cette ligne, je réalise que, depuis dix ans, je souffrais de douleurs de tension à l’épaule. Depuis mon coming in (le fait de me révéler à moi-même), ces douleurs ont disparu. Découvrir la diversité des genres, c’est l’ouverture à un monde merveilleux pour moi. Un peu comme si j’ouvrais un roman de fantasy et que je m’y promenais, à la fois en m’enthousiasmant de tout, et à la fois en me sentant chez moi.

J’ai eu la chance que mon coming out se soit bien passé, d’être soutenu·e par mes ami·e·s et par d’autres personnes transgenres binaires ou non binaires. Mais ça ne s’est pas très bien passé dans ma famille et je ne suis pas totalement out non plus. Dans ma famille et à l’université, les codes sont encore trop rigides, trop conventionnels et/ou trop binaires pour que je me sente à l’aise et en sécurité.

Le mégenrage est quotidien, même parfois de la part de celleux qui sont au courant. Et on n’a pas toujours envie d’expliquer, de faire de la pédagogie. On n’a pas envie de dire aux contrôleur·ses de train, aux professeur·e·s, aux personnes que l’on ne croise qu’une seule fois « en fait, moi, ce n’est ni madame ni monsieur ». Genrer, c’est ancré en nous. Moi-même, je me trompe encore. Quand j’appelle quelqu’un·e que je ne connais pas, je dis « madame » ou « monsieur », puis je m’en veux. Qu’est-ce que je peux en savoir ? L’expression de genre ne fait pas le genre ressenti.

Parfois, c’est difficile, c’est épuisant d’être mégenré·e. L’impuissance est présente. Mais d’autres fois, avec des personnes qui nous genrent correctement, ou quand on se rend compte qu’on est dans un contexte où on n’a pas besoin d’être genré·e, on se sent juste… nous-mêmes. Ce n’est pas facile tous les jours, mais je suis heureuxe d’avoir évolué dans mon cheminement personnel.

Peut-être un petit point de définition et de description, maintenant, pour mieux comprendre ce qu’est la non binarité.

On se situe dans l’identité de genre. L’identité de genre, c’est le fait d’être, de se définir d’une certaine façon. Le plus souvent, on parlera d’être femme ou d’être homme. Mais le spectre est en fait beaucoup plus large, puisqu’il faut pouvoir y inclure les personnes transgenres, et en particulier les personnes transgenres non binaires.

L’identité de genre est à distinguer de trois autres termes :

  • Les orientations sexuelle/romantique/esthétique/sensuelle. Un genre ne définit pas le fait ce que l’on ressent envers une ou plusieurs autres personnes. C’est quelque chose que l’on ressent vis-à-vis de nous-mêmes.
  • Les organes génitaux, les hormones et les chromosomes. On fait souvent le raccourci que le genre se réfère aux organes génitaux, mais non seulement c’est faux, mais en plus c’est réducteur puisque le « sexe biologique » comprend une série de facteurs, et ce n’est pas toujours aussi évident de distinguer les hommes des femmes. Il y a également les personnes intersexuées.
  • L’expression de genre, qui est le fait d’exprimer son genre par l’apparence physique. Cela peut, ou pas, correspondre à notre identité de genre (l’habit de ne fait pas le moine).

Lorsque l’on se sent appartenir au genre que l’on nous a attribué à la naissance, nous sommes cisgenres. Dans le cas contraire, nous sommes transgenres. Attention : la transsexualité est un terme psychiatrique. Utiliser ce terme, c’est faire référence à une maladie mentale. Seules les personnes concernées sont légitimes à utiliser ce terme pour elles-mêmes.

Habituellement, on pense aux personnes transgenres qui transitent vers « l’autre genre » : ce sont les MtF (male to female) et FtM (female to male). Mais tous·tes les transgenres ne souhaitent pas faire d’opérations chirurgicales ni prendre d’hormones. Et il s’agit d’une partie des personnes transgenres seulement (les hommes et les femmes transgenres), puisqu’il existe également les transgenres non binaires (qui peuvent, par ailleurs, également vouloir utiliser des bloqueurs d’hormones ou passer par une opération pour rendre leur apparence plus neutre).

Ici, je reste volontairement vague en parlant de personnes non binaires, mais c’est un terme qui regroupe, en réalité, probablement une infinité de genres en dehors de la norme. À titre d’exemples, il y a les personnes agenres, les neutrois, les genres fluides, les xénogenres…

À tou·te·s celleux qui se sentent non binaires ou qui sont en questionnement : vous n’êtes pas seul·e·s. Vous êtes légitimes. Et ce, qu’importent votre âge, votre expérience de vie ou les étapes qui vous amènent à vous sentir vous-mêmes. Votre genre est personnel, il n’appartient qu’à vous.

À tou·te·s les allié·e·s : ne pas savoir, ce n’est pas grave. Informez-vous, si vous le souhaitez. Mais dans tous les cas, respectez le choix d’une personne quand elle se choisit des prénoms, pronoms et/ou des accords. S’adapter, c’est une marque de respect. Et je vous assure, on peut s’habituer très vite. Puis se tromper, ce n’est pas grave. Rectifiez. Demandez comment accorder si vous n’y arrivez pas. Déjà, y faire attention, c’est une marque de reconnaissance qui signifie beaucoup.

Si vous vous en sentez capables, demandez aux personnes que vous rencontrez quels sont leurs pronoms. Et le top du top, ce serait d’arrêter de préjuger du genre des personnes que vous rencontrez. On ne peut pas savoir.

À tou·te·s, qui que vous soyez : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de se sentir. Il n’y a pas de mal à se sentir femme, homme, transgenre, non binaire… En accord ou pas avec ce que la société vous dit.

Je terminerai sur une citation de Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères*, sinon nous allons mourir tous* ensemble comme des idiots*. »

*adelphes, tou·te·s, idiot·e·s. On regrettera que la traduction française triple le nombre de mots genrés de cette citation.

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3 commentaires

Maz Fournier

Article super pertinent et auquel je m’identifie énormément. Avant de publier mon propre témoignage, je suis allé.e googlé pour trouver un texte sur le fait d’être non-binaire. Je suis content.e de lire un aussi beau message d’encouragement et de découverte de soi. Bonne continuation et merci pour ces mots!

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