Racisme Societé
Ne m'appelez plus
jamais « exotique »
Roseaux, magazine féministe  Janna B.



La phrase la plus souvent entendue dans ma vie ? « Tu as l’air tellement exotique ! ». Top 1 toutes catégories confondues Au début, j’étais enchantée d’entendre quelqu’un me complimenter de la sorte : « exotique… », je me pavanais fière de cette étiquette sous laquelle Jasmine, Esmeralda, Mulan et Miss Réunion 1997 étaient également labellisées. Très rapidement, j’ai compris ce que cela voulait dire : « t’es belle, et t’es pas blanche ». Et j’ai commencé à reproduire ce modèle.

Sur TF1, je pistais les Miss « exotiques », trahissant ma Sarthe natale en rêvant d’être à leur place, plus grande (on a tou·te·s nos vilains petits secrets). Mais pas Miss Sarthe, ça n’aurait pas pu être possible puisque j’étais « exotique ». J’ai longtemps accepté cette étiquette sans la remettre en question. En la prenant pour un compliment, puisque ce mot a souvent été utilisé comme tel. Puis, au fur et à mesure, j’ai réalisé que ce mot, quel que soit le but de son emploi, transportait avec lui beaucoup d’idées et de sous-entendus qui au final en faisaient un « faux compliment ».

Exotique, c’est objectif ?

Contrairement à ce que son emploi quotidien pourrait laisser penser, le terme « exotique » n’est pas un terme « objectif » de description. On ne peut pas être exotique en soi. L’exotique c’est un objet, un sujet qui ne vient pas d’ici. Mais ne pas venir « d’ici » n’est pas une chose en soi ; ce n’est pas la même chose que de dire que le sujet est « rouge » ou « grand » même si toute perception et description d’un objet répond à une certain niveau de subjectivité.

Non, dire d’un objet qu’il est exotique ce n’est pas le décrire de manière « objective » mais bien l’inscrire dans un processus et une affirmation d’une altérité. C’est situer un ici et un là-bas. Et j’irais même plus loin en disant que c’est pérenniser l’idée d’un centre – normatif – et d’une périphérie – qui du coup l’est moins (pour ne pas dire pas du tout). Un ananas, seul, n’est pas exotique. Il n’est pas exotique aux Philippines, ni au Costa Rica. Il l’est par contre pour celleux vivant en Europe, en Amérique du Nord…

Selon le Littré, le terme « exotique » vient du latin exoticus dont la traduction serait « dehors ». le Trésor de la langue française quant à lui donne comme définition « [En parlant de personnes ou de choses envisagées par référence au pays ou à la culture propres du locuteur] Qui est relatif, qui appartient à un pays étranger, généralement lointain ou peu connu ; qui a un caractère naturellement original dû à sa provenance. » et par extension « Celui ou celle qui est originaire d’un pays étranger, généralement lointain. ».

Son utilisation devient fréquente aux XVIIIe et XIXe siècles, périodes d’essor de l’orientalisme dans le domaine de l’art (peinture, musique, littérature) et de la science, nourri par les nombreux voyages de formation des européens vers les « contrées exotiques ».

Le terme exotique veut dire donc dire étranger, qui n’est pas d’ici, « ici » étant non pas le lieu de l’énonciation mais bien le lieu « d’origine » de l’émetteur de ce jugement. Reprenons la définition du terme : est exotique ce qui vient d’un endroit lointain, certes, mais surtout peu connu. Personne n’aurait idée de désigner une australienne aux cheveux blonds comme exotique, par contre ma meilleure amie aux cheveux crépus et à la peau dite « caramel » née en Franche-Comté y a droit à chaque soirée. Le·a blanc·he n’est jamais exotique.

Jean Francois Staszak, dans la revue Le Globe, souligne que l’exotisme est avant tout « un processus de construction géographique de l’altérité propre à l’Occident colonial, qui montre une fascination condescendante pour certains ailleurs, déterminés essentiellement par l’histoire de la colonisation (…). » Le « ici » pris comme normatif et neutre est en fait l’expression du discours dominant, celui de l’homme blanc. En effet on ne dit jamais par rapport à quel point de vue le lieu, l’objet ou la personne est exotique : le point de vue est sous-entendu et il s’agit de celui, occidental ou européen, supposé objectif et universel et qui s’est imposé comme tel.

La passion de l’exotisme qui saisit l’Occident dans la deuxième moitié du XIXe siècle présente bien ces deux faces. A la suite de J.-J.Rousseau et des romantiques, l’Occident considère sa civilisation avec circonspection, en perçoit les travers ou les impasses et rêve à un passé dont l’ailleurs est l’incarnation géographique : état de nature ou de sauvagerie d’une humanité heureuse et innocente ; civilisations en enfance, fortes et authentiques ; traditions anciennes d’un monde pré-moderne. L’exotisme est une forme de nostalgie ; le voyage dans l’espace, un déplacement dans le temps.
(J-F Staszak, Qu'est-ce que l'exotisme ?)

Exotisation, mode d’emploi

Jean-François Staszak décrit le processus d’exotisation en deux phases.

La première est la « dé-contextualisation » : la personne ou l’objet est saisi et déconnecté du contexte local dans lequel iel évolue parfaitement intégré·e. Iel sera ensuite considéré·e selon un point de vue « neutre » et ses caractères « curieux », « étranges » seront soulignés.

La deuxième phase est appelée « recontextualisation ». La manière dont l’objet ou la personne ne correspond pas à « notre culture » est analysée et mise en avant. L’exotisation est un changement de contexte, par lequel l’objet exotisé est mis à disposition. Ce processus est celui des voyageur·se·s européen·ne·s qui appréhendent avec leurs habitudes les lieux, les rites, les objets locaux et les trouvent curieux – exotiques. La re-contextualisation fait perdre son sens à l’objet et le ramène à son altérité seule, en niant toute explication ethnographique ou géographique qui pourrait redonner un contexte à l’objet. Pour rester bizarre, l’objet exotique doit être opaque.

Exotiser une personne, c’est la sortir du contexte, ignorer, faire abstraction de toute l’évolution ethnique et sociale de la société. Faire abstraction de la multiplication des mouvements, non pas ces dernières années, mais bien ces derniers siècles. C’est se raccrocher à une idée de la « normalité » blanche et occidentale et replacer la personne dans cet ensemble, et de ce fait souligner son altérité.

L’exotisme ne se base pas sur une réalité, c’est même le contraire. Exotiser quelque chose ou quelqu’un, c’est produire une image conforme aux attentes occidentales, précisément dans ce qu’elles ont de plus stéréotypé, à l’exemple de la danseuse du ventre avec son soutien-gorge à breloques et sa jupe fendue. Comme Victor Segalen le remarque dans son Essai sur l’exotisme : « qualifier quelqu’un d’exotique, c’est faire l’expérience de l’altérité de quelque chose qui n’est pas moi-même et en tirer plaisir ». L’exotisme est toujours synonyme de plaisir.

Mais ce plaisir est aussi confortable puisqu’il se base sur la différence qui nourrit certes notre curiosité, mais ne l’est pas assez pour être effrayante. Il s’agit « une étrangeté mesurée, acceptable, appréhendable. Domesticable et domestiquée. L’exotisme est aimable, il ne doit pas faire peur ou interroger. », comme l’explique Staszak. Ce qui est exotique dans le Moyen-Orient, ce n’est pas sa réalité, qui elle est sans discernement critiquée, mais bien sa sensualité supposés – ces danseuses du ventre, aux corps à la fois mis à disposition et interdits, le harem et le hammam, lieux de convergences des imaginaires occidentaux.

Beauté exotique, le vrai faux compliment

Lorsque la beauté d’une personne est qualifiée d’exotique, ce n’est pas faire un compliment mais bien lui dire « tu es belle MAIS tu n’es pas blanche » – c’est souligner le caractère particulier de son physique clairement non blanc, c’est à dire pas d’ici, mais dont les caractéristiques restent acceptables pour les canons de beauté universels : c’est donc non seulement souligner le paraître « autre » de la personne, mais également donner à quel degré cette différence reste acceptable sur le spectre de la beauté (blanche).

L’universel, tout comme le beau dans son absolu, est blanc ; la beauté exotique est bien une production occidentale qui par l’objectivisation, l’altérisation et la romantisation de l’autre en a fait quelque chose d’envoûtant et de désirable (spécial dédicace à Baudelaire, merci poto). Définir une personne comme telle c’est également questionner la légitimité de sa présence, de son identité. Être qualifié·e d’exotique alors que l’on se définit soi-même comme français·e (et même comme sarthoise), c’est quand même assez comique. Comme quoi, des rillettes à l’ananas, il n’y a qu’un pas.

La « beauté exotique » nous est présentée avec une narration eurocentrée, un concept fourre-tout sous lequel une foule de personnes aux différents faciès se retrouve regroupée. Elle est différente de la « beauté scandinave », dans le sens où cette dernière situe l’origine de la personne dans un espace géographique concret et défini, et qu’elle décrit un type physique très précis et toujours identique : peau pâle, yeux clairs et cheveux blonds.

Il n’y a qu’à regarder sur Google images pour mesurer la différence des deux termes. Taper « beauté scandinave » dans la barre de recherche amène une page remplie des mêmes caractéristiques physiques, alors que la recherche « beauté exotique » nous fait passer d’une photo à l’autre de la grande mince aux yeux en amande à la maghrébine aux yeux clairs, en passant par la « latina » et la « créole ».

Parler d’une « beauté exotique » c’est donc bien dire : « je te trouve belle, mais c’est différent des autres, tu n’as pas l’air d’être d’ici, tu n’es pas blanche, et tu a des traits ne correspondant pas à la connaissance que j’ai de la beauté normale ».

La normalisation de l’exotisme

Nous intégrons cette narration depuis notre plus jeune âge, à travers les jouets, les dessins animés, les films, les clips musicaux. Cette tradition est longue puisqu’elle prend ses racines dans les récits de voyages des « grands explorateurs » suivis par le mouvement orientaliste et est toujours largement utilisée aujourd’hui par les médias. Elle participe à une fétichisation de la femme ou de l’homme racisé·e en systématisant, fixant et homogénisant certains traits non seulement physiques – tels que la couleur de peau, la forme des yeux ou la nature des cheveux – mais également culturels.

Ces « traits caractéristiques » seront largement sur-représentés dans les films, séries ou même documentaires, insistant sur une supposée soumission des femmes asiatiques ou une animalité des femmes africaines, par exemple. Ce qu’il est important de noter est que l’objectivisation et la mise à disposition des sujets exotisés ramène également à un imaginaire hautement sexuel.

L’homme « latino » qui sachant danser « caliente » sera forcément un amant expérimenté, mais à la fidélité volatile. La femme asiatique est plus menue, plus soumise, plus silencieuse que la femme blanche occidentale, et sera représentée dans le cliché de la travailleuse du sexe, de la geisha avec ce qu’elle a de sexuel. La femme « latina » est forcément corpulente, sensuelle, caractérielle, sexuelle ; elle sera mise en scène avec des vêtements près du corps, on la considérera comme aguichante. Tout comme la femme africaine ou antillaise ; leur représentation dans des clips de musique aux chorégraphies plus que suggestives pérennise l’idée d’un parallèle entre danse et acte charnel, et sexualise leurs mouvements.

C’est non pas les considérer comme des êtres humains, mais les objectifier, les déshumaniser en les limitant à certains traits de caractère ou physiques, les priver de leur propre détermination et les mettre à disposition en leur donnant une dimension sexuelle. La preuve en est que le terme exotique est devenu un synonyme d’érotique.

Alors que la population blanche est estimé à moins de 20 % de la population mondiale, et que la mixité ethnique, si elle n’existait pas vraiment au XVIIIe siècle, est aujourd’hui plus que présente, il serait bon de se demander pourquoi ce terme continue à être utilisé et pourquoi beaucoup continuent à le voir comme un compliment sans remettre en question ce qu’il transporte de racisme et de colonialisme.

Si au début ce mot désignait les gens n’étant pas issus de la France métropolitaine – et par élargissement de l’Europe blanche occidentale, n’est-il pas nécessaire de réaliser qu’il est toujours utilisé aujourd’hui avec la même définition, alors que la situation ethnique a clairement évolué ? Peut-on continuer à utiliser un terme qui crée une distanciation, et un système de centre et de périphérie – et par là à remettre en cause la légitimité de personnes vivantes ? Un terme qui émet un jugement de valeur sur ce que je suis, sur mon apparence, ma manière d’appréhender le monde…

N’est-il pas ironique d’entendre des personnes blanches en voyage parler des populations exotiques qu’elles rencontrent alors que clairement elles sont elle-mêmes ces personnes ne venant pas « d’ici » ?

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3 commentaires

    Dauga Hélène

    Merci pour vos réflexions et leur développement issus de votre expérience. En effet je pense que cette fascination pour l’exotisme qui aurait pu (dû) éveiller un sentiment de communauté humaine trouve son origine dès le début des colonialismes européens. Outre les fantasmes d’une sensualité débridée de populations dites primitives, c’est le sentiment de supériorité de sociétés bridées et imbues de leur soit-disant puissance qui inspirent une curiosité malsaine pour l' »autre » des pays lointains. Au XIXe les Expositions Universelles à Paris exposent populations et leurs savoir-faire (très vite copié) à un public fasciné, le confortant dans sa supériorité.
    Oui, l’exotisme fait rêver, comme en témoignent les voyages lointains de nos contemporains …. Le sujet est complexe, j’arrête là et vous remercie encore pour votre post. Bien cordialement
    Hélène
    (Je travaille sur l’Orientalisme du XIX e siècle et me trouve confrontée à la question de l’altérité…)

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