Corps Féminisme Societé
Mes poils, les autres
et… mon bien-être.

Deuxième partie

Roseaux, magazine féministe  Louve souci



Ceci est le deuxième de la série, tu peux retrouver le premier ici

Dans un monde idéal féministe et égalitaire, mes poils ne poseraient aucun problème, quel que soit mon passing, mon genre assigné à la naissance, mon caryotype et mon groupe sanguin – qui, à mon sens, regardent moins autrui que la couleur de mes selles le matin, un sujet sur lequel bizarrement personne n’est jamais curieux malgré mes tentatives désespérées d’en faire un sujet de conversation usuel.

 

Evidemment, ce monde est loin d’être celui dans lequel nous vivons aujourd’hui : même s’il y a certaines villes et certains endroits à l’heure actuelle où l’on peut être qui on est réellement, s’habiller et se brosser les poils comme on le souhaite, ce n’est hélas toujours pas le cas de la majorité des parties du globe terrestre.

 

J’ai déjà rédigé un premier article sur le cheminement personnel que j’avais suivi pour en arriver à accepter et – bien pire ! – aimer mes poils. Aujourd’hui, je vis en harmonie avec mon corps, je prends soin de mes poils, je les dorlote et j’attends avec impatience de les voir s’adapter aux températures estivales. Tout cela est bien beau, mais tout cela est également très utopiste : je suis bien une des rares personnes à être fortement satisfaite de sortir les poils à l’air doucement caressés par la brise estivale. J’ai beau m’inquiéter de ce que pensent les autres comme de l’an quarante (qui, rappelons-le, n’a rien fait de spécial pour mériter cette mention), leurs réflexions et leurs regards restent quand même une source de souffrance quotidienne. Du coup, me voici de retour pour rédiger ces deux nouveaux articles (ceci est le deuxième de la série, tu peux retrouver le premier ici) recensant quelques-unes des réflexions les plus fréquentes que je reçois depuis que j’ai libéré mes poils ainsi que des idées de réponse – je ne détiens évidemment pas la solution miracle à tout, et parfois les remarques nous prennent tellement de court qu’on reprend nos esprits trop tard pour balancer une réplique cinglante bien sentie, nous ne sommes pas infaillibles.

 

 « Les poils, c’est moche »

Première précision : les personnes qui t’ont éduqué·e ne t’ont jamais appris qu’on doit dire « je n’aime pas » et non « c’est moche/dégoûtant/mauvais » ? Au cas où ça te manque, me revoilà : on ne dit pas « c’est moche » mais « je n’aime pas » – pour plusieurs raisons, notamment le fait que ton goût n’est pas un goût universel et que ce n’est pas parce que tu vis et ressens les choses ainsi que l’humanité toute entière est dans ton cas.

Dis-tu la même chose aux personnes dont tu n’aimes pas la tête ? Aux personnes dont tu n’aimes pas la façon de s’habiller ? Arrêtes-tu dans la rue chaque personne qui s’habille ou se comporte d’une manière qui ne te convient pas ou par laquelle tu n’es pas attiré·e afin de lui dire expressément que toi, tu trouves que cette personne est moche, peu attirante, mal habillée ?

« Je te le dis à toi mais je ne le dirais pas à une inconnue dans la rue »

C’est déjà un bon début : cependant, t’ai-je demandé ton avis ? Si oui, passons à la question suivante. Si non… Pourquoi me le dire ? Encore une fois, pourquoi m’imposer ton avis si je ne t’ai rien demandé ? Passé-je ma vie à critiquer chacun de tes gestes, chacune de tes paroles, chacune des décisions de ta vie sans que tu me demandes rien avant – à l’exclusion des décisions dangereuses ou malsaines que tu pourrais prendre vis-à-vis de toi-même ou d’actions/paroles qui me toucheraient directement ?

Alors pourquoi le fais-tu ? Pourquoi penses-tu que j’en ai quelque chose à faire de ton avis sur la question ? Plus important encore : ne crois-tu pas qu’avec la société qui nous entoure, je sais pertinemment ce que la majorité des personnes – surtout les hommes – en pensent ? Révélation : je le sais – je sais que pour la majorité des personnes, les poils, c’est moche donc pourquoi venir répéter ce que me disent déjà les inconnus dans la rue, les films, toutes les publicités pour l’épilation, tous les médias qui présentent comme beauté (également blanche et valide) des femmes exclusivement épilées ?

Partons du principe que tu sais que je le sais : pourquoi me le dire ? Pour me blesser ? Tu n’es dans ce cas-là pas un ami, et je te prierai de ne plus me contacter. Pour me faire « ouvrir les yeux » sur ce que les personnes pensent ? Si la société dans son ensemble n’a pas réussi à me le faire comprendre, je doute que tu y arrives. Pour me faire changer d’avis ? Oh, là, nous n’allons pas être ami·e·s longtemps : pourquoi vouloir me faire changer de comportement alors que ceci ne dérange absolument personne ?

Il s’agit de mon corps – je peux donc en faire ce que tu veux, que le résultat visuel te plaise ou non, du moment que je ne viens pas empiéter sur la liberté des autres – et garder mes poils n’a aucune influence (et certainement pas néfaste) sur les personnes de mon entourage. Visuellement, si ça ne te plaît pas, je te rappellerai que tu as des amis hommes non épilés, qu’en tant qu’homme hétéro* tu ne trouves pas attirants, mais ça ne t’empêche pas de les laisser tranquille et de traîner avec eux – serait-il possible que tu en fasses de même pour moi ? Ou peut-être que, derrière ce « conseil », se cache en réalité une injonction à être « belle pour toi » – dans ce cas-là, hélas, je me dois de t’apprendre que ce n’est pas là l’idée d’une relation d’amitié.

Illustration : Louve Souci

« C’est mon avis et ma liberté d’exprimer mon opinion »

 

Ce qui est merveilleux avec la liberté d’expression, c’est que c’est une liberté qu’on appelle relative – elle n’est pas absolue. Ainsi, elle doit être mise en balance avec d’autres libertés – la liberté d’expression est indissociable de la responsabilité des paroles prononcées. Tu es libre d’exprimer ce que tu souhaites – cependant, si ces paroles sont discriminantes ou mettons, diffamatoires, tu pourras être condamné·e juridiquement pour les avoir tenus.

Que ces propos soient légalement condamnables ou non, d’ailleurs, j’aimerais porter à ta connaissance le fait suivant : c’est ta liberté d’exprimer ton opinion et la mienne de refuser d’écouter tes propos, s’ils ne sont prononcés que pour diminuer ma confiance en moi et tenter de me faire rentrer dans une norme corporelle oppressive qui m’obligerait à souffrir pour satisfaire une société patriarcale.

« Que je le dise ou pas, je le pense de toute manière »

Le premier pas serait déjà, vraiment, s’il-te-plaît, d’arrêter de le dire et de le crier à tout va. Arrêtes-tu les personnes dans la rue pour leur dire que tu n’aimes pas les brocolis ? Rappelles-tu à tes ami·e·s à chaque repas partagé ensemble que tu n’aimes toujours pas les brocolis ? Sauf à être invité·e chez quelqu’un·e qui te demandera si tu as des allergies ou souhaits particuliers, personne n’en a rien à faire que tu aimes ou pas les brocolis. Quant aux personnes avec lesquelles tu souhaites nouer une relation sexuelle ou amoureuse, ton avis sur les poils est comme ton avis sur tes autres critères d’attirance – complètement subjectif.

Une dernière chose pour la route… L’injonction à la « beauté » permanente, quelle que soit la situation, est une des oppressions quotidiennes très lourdes qui pèsent sur les femmes : que l’on sorte dans la rue pour acheter du PQ ou qu’on se rende au travail, la société exige de nous que l’on soit attirantes et belles – sous-entendu, pour des hommes hétéro* et non pour nous. C’est extrêmement lourd à supporter et à subir au quotidien, et je n’ai vraiment pas besoin que tu me le rappelles toujours.

Est-ce que je viens t’embêter tous les jours en te faisant remarquer que tu ne te maquilles pas, qu’avec ton short en été tu fais « homme facile », que bronzer torse nu dans un parc en juillet est passible d’une peine pour exhibition sexuelle, que tu serais plus beau si tu étais épilé, que tu aurais pu faire un effort quand même et t’habiller convenablement pour aller faire tes courses ?

Alors, s’il-te-plaît… Cesse de me juger en permanence parce que je ne corresponds pas à tes critères – socialement imposés – de beauté. Je ne souhaite pas te plaire, je ne souhaite pas plaire en permanence et c’est moi qui déciderai quand je veux plaire et à qui je souhaite plaire. Pas toi, ni personne d’autre que moi.

« Jamais un mec ne voudra de toi »

Pour commencer, qui te dit que je veux d’un mec ? La majorité de femmes hétéro* ne rend pas inexistantes les femmes homo* et bies*, pour commencer. A supposer même que je sois attirée par les hommes : à quel moment dans ta vie ton égo s’est-il tellement développé que tu penses désormais que chacun de tes avis et de tes goûts est partagé par l’ensemble de la gente masculine ?

Ce n’est pas parce que toi, tu n’aimes pas ça (ou que tu n’aimes pas les yeux et les femmes qui ont des bras de plus d’une certaine longueur ou qui aiment la musique classique) que TOUS les hommes partagent tes goûts – not all men, n’est-ce pas ? A force de le crier sur tous les toits à des prétextes fallacieux, fais-moi le plaisir d’au moins l’appliquer en permanence.

Je vais te faire une révélation incroyable : je ne veux surtout, surtout pas d’un mec qui se permet de juger mon corps et de le critiquer juste parce qu’il se sent en droit de le faire alors que je n’ai rien demandé. Oh, et il s’avère que si, dans ma vie, beaucoup de mecs passent leur vie à vouloir de moi – ce qui m’arrangerait, d’ailleurs, c’est que tous ces mecs-là arrêtent effectivement de vouloir de moi (surtout à chaque instant que je passe en dehors de chez moi, c’est lassant).

 

Illustration : Louve Souci

 

Bon, allez, sortons le raisonnement mathématique : « aucun mec ne voudra jamais de moi ? » Raté, un mec a déjà voulu de moi dans le passé : CQFD, ton affirmation qui n’accepte pas les exceptions est donc détruite.

Mon but dans la vie n’est pas de plaire à quelqu’un d’autre que moi. Mon but dans la vie n’est certainement pas de devoir souffrir physiquement pour qu’un mec daigne vouloir me mettre dans son lit – la majorité des hommes ignorant aujourd’hui ce qu’est un clitoris et découvrant toujours avec surprise qu’un acte sexuel mutuellement consenti est généralement conclu par l’orgasme des deux parties, je me passerais très bien d’une telle rencontre.

En général, je me contente de répondre : « Il s’avère que des hommes ont voulu de moi par le passé et continuent, eh oui, même avec poils – et devine quoi, comme je ne veux pas d’un mec qui ignore où se situe le clitoris, je suis bien contente que les hommes qui se permettent de juger mes poils m’ignorent ».

Si la personne en face de vous est un homme, il y a fort à parier que vous l’aurez perdu au mot « clitoris ». S’il s’agit d’un inconnu, je lâche ce genre de remarque en tournant aussitôt des talons sans lui laisser l’occasion de répondre – en effet, mon objectif est de ne pas me laisser faire et de contrer la négativité que cette personne a tenté de faire pleuvoir sur moi, mais je ne souhaite pas perdre mon temps avec ce genre d’individus. Si c’est pour entendre une avalanche de « pourtant avec ta tête/ton corps/tu devrais avoir honte », j’ai déjà donné, merci mais non merci.

Parfois, je dois me retenir de ne pas répondre sur le physique de la personne – il m’est arrivé de le faire, je le confesse, surtout en été quand les hommes qui se permettent de me dire à quel point mon corps les dégoûte alors que je n’ai rien demandé à personne et que je voulais juste aller acheter du pain me dérangent plus d’une dizaine de fois par jour. Dans ce cas-là, je réponds : « Avec ta tête, jamais aucune femme ne voudra de toi » – la version soft pouvant être – « Avec une telle fermeture d’esprit, jamais aucune femme ne voudra de toi » mais cela risque de moins lui retourner la violence de ses propos à votre égard.

Aux personnes qui ne sont pas inconnues, ou qui ne sont du moins pas juste des personnes croisées dans la rue, je tente généralement ceci : je fais de la boxe depuis que j’ai 4 ans et je fais 1m78. Jamais aucun mec ne voudra de moi selon le code de la masculinité absurde sociale qui dit qu’un homme comme il faut doit être plus fort qu’une femme et plus grand, surtout. Que dois-je couper, mes pieds ou ma tête ? Ô surprise et merveille : rien.

Si je trouve, c’est chouette, si je ne trouve pas un homme sur Terre capable de penser que la différence de taille ne change rien à la possibilité d’une relation intime amoureuse et/ou sexuelle, c’est que de toute façon, les hommes que je rencontre ne m’auraient pas convenue. Je souhaite partager ma vie avec quelqu’un (de préférence pas un homme, mais on risque fortement de glisser sur le terrain de la lesbophobie, essayons de nous préserver face aux personnes malintentionnées) qui me respecte, qui respecte mon corps et mes choix, et qui est capable de réfléchir au-delà des contraintes sociales.

Clairement, quelqu’un qui n’est pas capable de réfléchir à la pression que représente l’obligation de l’épilation sur le corps des femmes et qui se contente de lâcher une réflexion dégoûtée sur le ton du « Je ne pourrais jamais vouloir d’une femme qui laisse ses poils tranquilles et ne se mutile pas pour mon bon vouloir parce que la Société a dit que » n’est de toute façon pas un homme que j’ai envie de connaître, amicalement comme amoureusement.

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