Illustration : Janna B.
TW : homophobie, violences verbales et physiques, agression
L’article se concentre sur les violences contre les homosexuels et non contre toutes les personnes LGBT+, puisque pour ma part je ne peux qu’attester des violences contre les hommes gays. Néanmoins j’invite le·a lecteur·ice à ouvrir son champ de vision pour étendre ces violences à l’ensemble de la communauté LGBT+, et à s’informer sur les spécificités de chacune des violences commises à l’encontre de toute personne qui n’est pas un homme ou une femme cis et/ou hétéro. En effet, si certaines des violences homophobes contres les hommes sont applicables aux lesbiennes par exemple, chaque communauté étant spécifique, chacune reçoit, par un miracle de l’équité, sa dose de violences.
S’il est vrai que l’homophobie est de plus en plus souvent évoquée, notamment en parlant des hommes gays, elle n’en reste pas moins toujours omniprésente dans la vie des gays et des lesbiennes – il ne suffit pas d’en parler pour la faire disparaître. Et même si certaines lois sont prévues pour protéger les personnes concernées (Ici, là et la loi 2003-229 du code pénal notamment l’article 47 modifiant différents articles du code pénal ici : [Chapitre IX] dont on retient notamment le fait que « les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l’infraction est commise à raison de l’orientation sexuelle de la victime. ») ; il n’en demeure pas moins que la minorité que constituent les personnes non-hétérosexuelles n’est que peu protégée de façon claire et ciblée. Par ailleurs, force est de constater que les violences homophobes sont nombreuses, si ce n’est grandissantes, face à une communauté qui s’affirme de plus en plus dans l’espace public.
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Mars 2008 – 13 ans.
Au collège, alors que je flâne avec des amis dans la cour de récréation : « Si t’as des cheveux longs, c’est bien pour qu’on te les tire ».
Janvier 2009 – 14 ans.
Sous le préau, au moment où je me baisse – sans plier les genoux – pour atteindre mon casier et qu’un de mes camarades simule une pénétration anale : « T’aimes ça hein qu’on te culbute ».
Juillet 2010 – 15 ans.
A un repas de famille, sans que personne ne trouve cela choquant : « Bah et toi alors, avec les filles, t’en es où ? T’es quand même pas pédé ! ».
Novembre 2011 – 16 ans.
Dans le bus, au retour du lycée : « Et c’est là que la tafiole descend. Fais attention à pas te casser la gueule vu comment tu tords ton cul ».
Décembre 2012 – 17 ans.
Dans la rue, un soir entre Noël et le Nouvel An : « Salut, moi c’est Hugo ». Il a pourtant l’air bien aimable ce mec avec qui j’ai rencard. Et pourtant…
Ce date, je l’attends depuis un moment à vrai dire. On parle depuis quelques jours, avec le bel Hugo. J’ai 17 ans et lui 20 ans, d’après son profil. Le 27 décembre, nous devions nous retrouver pour boire un verre ensemble et faire connaissance. C’était plutôt de bon augure, il m’invitait. Lorsqu’il arrive, il m’envoie un message sur le site de rencontres pour me faire savoir qu’il est garé, mais ne sait pas comment faire pour se rendre au bar. Je décide donc de l’y rejoindre. « Salut, moi c’est Hugo ». Je ris. C’était un peu idiot puisqu’on parlait depuis quelques jours, et en y repensant, je me dis qu’il ne me le disait pas à moi, mais à lui-même, comme un petit mémo : « P.S. : Tu t’appelles Hugo ce soir ! ».
On discute sur le parking peu éclairé depuis quelques minutes, suffisamment pour qu’à un moment donné je me retrouve dos à sa voiture. Je ne sais comment, mais un ami à lui nous a subitement rejoints. Sortait-il de la voiture d’Hugo ? Je ne sais pas, je l’ai toujours cru. Je n’ai jamais vu son visage à cet « ami ». Je sens simplement une corde, rouge il me semble, se serrer autour de mon cou. « Sale pédé. Sale enculé ». J’ai honte. J’ai peur et j’ai honte aussi.
Je vois clairement le visage de Hugo se crisper face à moi alors qu’il m’insulte et qu’il cherche dans ses poches des lames de rasoir. « Tu me dégoûtes. Crève ! ». Son ami serre de plus en plus fort la corde et je me débats de la tête pour éviter les lames, mes mains étant prisonnières de la main de l’ami d’Hugo après l’avoir gêné en essayant d’enlever la corde autour de mon cou. Mon cou, qui commence à chauffer, à me brûler. « Va en enfer pédale ». L’oxygène me manque. J’ai du mal à respirer et mes jambes tremblent. Je n’ai plus peur, j’ai simplement l’impression que c’est la fin. Mon corps me lâche et le poids de ce corps est si lourd pour l’homme à la corde que je m’écroule par terre. « Sale bâtard ».
Je reçois des coups sur tout le flanc gauche de mon corps. Des coups de pieds, encore et encore. Je reprends mal mon souffle et les étoiles que je voyais à cause du manque d’oxygène disparaissent, me laissant découvrir l’horreur de la scène. Ils sont enfin partis, me laissant à terre, après qu’une voiture est passée trop près, mais pas suffisamment pour me voir. Je reste à terre, le visage sillonné par les lames de rasoir, le cou brûlé, le corps bleu et rouge de coups et de sang.
Novembre 2016 – 21 ans.
Dans la rue, alors que je tiens la main à mon petit-ami, « Bande de pédales ! ».
Violences verbales et physiques
Voilà comment le quotidien d’un jeune homme gay peut facilement devenir un cauchemar sans que personne ne s’en rende forcément compte – la faute à cette société hétéronormée. Les exemples vécus sont certes parlants, pourtant revenons sur le terme de « violence ». Une violence implique un·e acteur·ice – ici, le macho, la personne cis, l’hétérosexuel·le, le·a croyant·e. etc., et un·e récepteur·ice – ici l’homme homosexuel. Même s’il ne faut pas exclure le fait que l’acteur·ice et le·a récepteur·ice (ou la victime) puissent être la même personne, je ne traiterai pas ici de ce genre d’auto-violence que sont le déni, l’auto-mutilation comme punition, les tortures psychiques et morales auto-infligées, etc.
La violence est selon l’OMS « l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès. ». Néanmoins, ne vous-y méprenez pas, lorsque quelqu’un·e de votre entourage déclare « Pédale, pédé, tantouse, enculé, tarlouze, pédale douce, baltringue, tapette (tapette à mouches), fiotte, tafiole, tanche, folasse, grosse tante, tata » (Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule, 2014) et qu’alors on pourrait penser qu’après tout ce ne sont que des mots, ou que les termes sont devenus tellement banals et ordinaires que c’est normal ; eh bien non, ça n’est pas normal. Ça n’est pas banal, ni ordinaire. C’est une violence qui cause des dommages plus ou moins importants selon la résistance de chacun·e.
Je voudrais revenir sur ce point : les insultes. Parce qu’en effet, dans la rue ou ailleurs, entendre ces différentes insultes est devenu quotidien – et pas forcément à mon encontre ou « méchamment » – et il ne faut pas l’accepter. Il ne faut pas accepter qu’un mot qui blesse et qui taillade lentement mais sûrement la stabilité et la tranquillité mentales, ne devienne normal parce que légitimé par une société hétéronormée qui ne se préoccupe que du bien-être des hommes et des femmes hétéros.
Revenir sur les mots me paraît primordial parce qu’on n’y voit pas au premier abord la violence faite – pas comme lorsque quelqu’un·e vous roue de coups – mais violence il y a bien, parce que lorsque quotidiennement on vous rabâche que vous n’êtes rien, que vous ne valez rien, que vous êtes anormal·e, bizarre, une tapette, bon à soigner ou même bon à tuer, vous entrez à un moment donné ou un autre dans cette crise existentielle : et s’iels avaient raison ?
La violence physique est également intolérable : on pense tout de suite à ce qui m’est arrivé. Le must du must : un peu défiguré, boitant et marqué. Pourtant violence physique ne signifie pas forcément devoir être admis·e à l’hôpital. Sachez messieurs – et mesdames – que lorsqu’on vous pousse, qu’on vous frappe l’épaule, qu’on vous crache dessus, qu’on vous fait tomber, qu’on vous claque les fesses ou qu’on vous agrippe l’appareil génital, il s’agit de violences. Et de même que les insultes, ce n’est pas acceptable.
Ça n’est pas acceptable parce que nous avons le droit de vivre sans avoir peur pour notre vie d’être humain. Outre les souffrances physiques – je vous conseille d’aller consulter un·e docteur·oresse – ne minimisez pas ce que vous éprouvez moralement. Parce que nous ne sommes pas anormaux, bizarres, des tapettes, bons à soigner ou à tuer. Iels ont tort et se comportent de la manière la plus vile et cruelle possible – preuve de leur sauvagerie et de leur déraison.
Se sortir de ce chemin de violences
N’y pensez pas, je n’ai pas de solution miracle – si ce n’est de déménager à Berlin en plein milieu du quartier queer de Schöneberg – encore que. Néanmoins, la première des choses est de s’entourer de personnes qui vous soutiennent et vous aiment pour ce que vous êtes et non pas ce que vous devriez être aux yeux de la société, ou pour ce que vous paraissez être (la faute de la société). Il ne faut pas minimiser le rôle de ces allié·e·s parce que ce sont elleux qui vous écoutent, vous rassurent et vous permettent de vous battre. Il peut s’agir de votre famille, de vos ami·e·s etc.
Dans la mesure du possible, n’hésitez pas non plus à rencontrer et vous informer directement auprès de personnes qui vivent la même chose que vous. N’ayez pas peur de vous replier dans une communauté qui vous servira de refuge : les « gens comme vous » seront on ne peut plus heureux de vous aider et de vous faire partager leur expérience. En outre, vous aurez affaire à des personnes ayant ressenti les mêmes choses, ayant vécu les mêmes types de violences et ayant survécu à ces violences, les ayant dépassées.
Cette première étape va vous permettre de vous recentrer sur vous-même et de vous renforcer dans l’idée que « être » est un verbe qui se conjugue à tous les temps et tous les modes – donc faites ce que vous voulez, dans la limite du bien d’autrui et du vôtre.
Ensuite deux possibilités s’offrent à vous : vous vous êtes blindés, vous ignorez les insultes, passez votre chemin et laissez aux autres le soin de se battre (pas le temps, pas l’envie, pas le besoin, etc.) ; vous pensez simplement « Pauvre ami, si tu savais que tes impôts servent à payer mon salaire et que tu participes ainsi activement à ma vie de pédé », ou encore vous vous chantez à vous-même votre chanson préférée de Madonna.
Ou bien, vous vous êtes blindés et vous décidez de vous battre vous-même pour vous et pour les autres, parce que homosexuel ne signifie pas victime et que vous refusez que les autres se permettent de vous faire du mal sur le simple argument de votre orientation sexuelle. Alors vous montrez les crocs lorsqu’on s’approche trop près de vous et qu’on vous insulte, vous luttez au sein de la communauté pour vos droits et votre mode de vie, vous criez au monde que vous êtes un homme et que l’orientation sexuelle ne vous définit pas en tant qu’être humain.
Non, vous, vous avez simplement un cœur. Un cœur qui bat parfois pour un homme. Mais un cœur qui bat comme celui de votre voisin qui d’ailleurs est affalé sur son canapé, bière à la main et demande à sa femme « Quand est-ce qu’on mange ? ». Alors, qui faut-il insulter en fait ?
Blague à part, le meilleur moyen de se sortir de la violence qu’on vous inflige, c’est d’en parler. C’est d’essayer de ne pas se replier sur soi-même et de porter seul·e sur vos épaules toute la misère de votre monde. C’est de vous respecter vous-même pour qui vous êtes réellement. Un homme qui aime d’autres hommes, une femme qui aime d’autres femmes, etc.
Comment réagir à un acte de violence en toute légalité ?
Frapper cellui qui vous insulte n’est pas une solution. Et même s’iel a commencé à vous frapper, sachez que sur le plan juridique l’acte de légitime défense est difficile à prouver. Pour autant, ne laissez pas la justice, le gouvernement, le monde ignorer que notre situation est difficile et insupportable. Si personne ne se plaint jamais, sur le papier, il n’y a aucun problème ; et les gens aiment à penser que « les homosexuel·le·s sont plutôt bien accepté·e·s dans la société ». Oui, tonton, bien sûr. Promène-toi dans la rue main dans la main avec un ami, juste pour voir. Tu comprendras.
Aussi, on a le droit de dénoncer les violences auxquelles nous sommes confronté·e·s par devoir envers soi-même, afin de renforcer l’idée que le tort commis était bien de la part de cellui qui vous a violenté·e, et envers la communauté, pour montrer aux autres homos que non ça n’est pas normal et que oui, il existe des solutions pénales – certes minimes mais existantes.
Pourquoi est-ce que pourtant les victimes – dont je fais partie – refusent d’aller voir la police, la gendarmerie ou quelque autre institution ? La peur de ne pas être compris·e, d’être à nouveau violenté·e par cellui qui est censé·e vous protéger est grande. Tout comme la volonté parfois de simplement nier la violence pour continuer à vivre son bonhomme de chemin de la manière la plus tranquille possible.
Néanmoins, ignorer la violence n’est pas une solution. Simplement parce que notre carapace n’en est pas une. C’est une éponge en réalité. Qui absorbe, absorbe, jusqu’à ce qu’elle vous inonde de remords, de tristesse et de peur. Enfin, il faut tenter de dépasser cette peur d’incompréhension ou de violence à l’égard des gardien·ne·s de la paix ou de cellui qui représente l’institution en question. En effet, il reste primordial que les autorités soient au courant des dysfonctionnements qui existent au sein de la société, et il est primordial pour vous que l’injustice soit punie ou du moins constatée, pour vous aider à avancer et à dépasser l’événement.
Alors que je n’ai moi-même pas réussi à aller voir la police pour les violences dont j’ai été l’objet, je trouve un peu hypocrite en un sens de vous encourager à le faire comme si vous n’aviez pas le choix. Bien entendu qu’au final, vous faites ce que vous voulez. Néanmoins, laissez-moi vous dire tous les remords que j’ai de ne pas y être allé, toute la colère quant à de possibles violences homophobes récidivistes de la part de ces deux hommes et toutes les inquiétudes pour les homosexuels qui pourraient en avoir souffert.
Pour autant, il ne faut pas se jeter la pierre et si ces hommes perpétuent leurs actes, ce n’est pas de ma faute. Malgré tout, sachez qu’aujourd’hui j’aurais aimé pouvoir y aller et me plaindre. Me plaindre parce que la violence n’est pas normale à l’égard de la communauté LGBT+, que ce n’est pas acceptable, que les violences ne doivent pas être minimisées ou oubliées.
Ce n’est pas normal, ce n’est pas acceptable, ce n’est pas vivable.