Societé Témoignages
« On ne peut pas être femme
sans être mère »

Ah bon ?

Roseaux, magazine féministe  Julie



N.B. : toutes les femmes n’ont pas d’utérus et/ou ne peuvent pas tomber enceintes, et des hommes peuvent tomber enceints, tout comme des personnes non-binaires. L’injonction à la maternité concerne toutes les personnes identifiées comme femmes par la société, mais il s’agit ici du témoignage d’une femme cisgenre.

Lorsque j’étais enfant, je jouais à la poupée (et aux petites voitures, l’éducation genrée n’était pas encore passée par là, c’était chouette pour certaines choses les années 1980). Je les habillais, les déshabillais, leur donnais leur biberon, jouais avec dans mon bain, les baladais dans une poussette rudimentaire et leur gribouillais dessus au feutre. Je n’avais pas du tout l’impression de singer ma mère (étant fille unique, je ne l’ai jamais vue s’occuper d’un bébé), ni de me préparer à mon futur rôle de mère. Mais je disais comme la majorité des petites filles « Quand j’aurai un bébé », parce que mes parents me le disaient.

Est arrivé l’idéalisme de l’adolescence. Je me suis rebellée contre les injustices (dans mon coin, parce que dans mon village de province il n’y avait pas trop de place pour l’activisme, et c’était avant Internet) et, après avoir vu des reportages sur des orphelinats à l’autre bout du monde, je me suis dit que décidément, je ne comprenais pas qu’on fasse des enfants alors même qu’il y en avait d’autres qui étaient sans famille. Je me souviens de discussions à la cantine du lycée avec des ami·e·s, quand on parlait de notre avenir, je me lançais dans de grandes diatribes et je concluais par : « Si j’ai des enfants, je les adopterai. » Si. Parce que finalement, je n’étais plus si sûre que ça que j’en aurais. Enfin, de toute façon, je n’avais que seize ans, j’avais le temps.

 

C’est quoi, avoir envie d’avoir des enfants ?

 

Dix-huit ans, j’arrive à Paris pour mes études. Je suis dans une classe littéraire, avec une écrasante majorité de filles. On parle de notre avenir, là encore. On pense surtout à nos études mais parfois une phrase échappe à l’une ou l’autre : « J’ai envie d’avoir des enfants ». Pas dans cinq ans, pas dans dix ans. Maintenant, quitte à tout fiche en l’air. Envie. Désir impérieux. Je me mets à les questionner : « Tu ressens quoi ? – C’est un truc très fort, comme le désir sexuel. J’ai envie de sentir un bébé grandir dans mon ventre. » J’imagine la sensation de sentir un bébé grandir dans le mien, et ça ne me fait pas très envie. Le fait que ça commence à entrer dans le domaine du possible me fait une drôle d’impression, assez désagréable. Mais bon, je n’ai pas encore commencé ma vie sexuelle, ni fini mes études, on ne va pas mettre la charrue avant les bœufs non plus.

Les mois passent (début des années 2000). Je découvre le sexe et les études qu’on fait par goût. Moi qui suis à la base une lectrice vorace, je découvre des auteur·ice·s qui me marquent, j’écris quelques textes, renouant avec une activité d’enfance et d’adolescence. Je constate que cette passion prend de plus en plus de place dans ma vie. Me manque de rencontrer le garçon avec qui je pourrai la partager. Et le désir d’enfant dans tout ça ? J’ai la vingtaine, mes ami·e·s aussi, la plupart parlent du fait d’avoir des enfants comme un fait acquis, reste à rencontrer la bonne personne, à être installé dans la vie, tout est sur des rails.

Et moi ? Eh bien moi… je n’ai pas envie de ça. Et je sens bien à présent que ça n’est pas une question de moment, que non, dans cinq ans, d’un coup ça ne me dira pas. Il n’y a tout simplement pas de place pour ça ni dans ma vie, ni dans ma tête. Devant un bébé, je reste de marbre. Je ne sens pas mon cerveau inondé par des hormones maternelles. Je ne ressens pas l’envie de me perpétuer à travers un enfant. Je ne ressens pas l’envie de sentir croître un bébé en moi. Je ne vois pas la maternité comme le couronnement de l’amour. Je ne vois pas comment le désir sexuel peut aboutir au désir d’enfant. Je ne comprends pas pourquoi ça semble si désirable aux autres. Je me demande si je suis normale.

L’exemple rassurant des aînées

Et puis un jour, à la radio, sur France Culture, j’entends un reportage sur des femmes comme moi. Elles sont plus âgées, elles ont des arguments, elles ont réfléchi. Allongée sur mon lit, je ne loupe pas une miette de l’émission. Je me sens rassurée par l’idée que, à cet instant T, alors que je suis dans ma petite chambre avec mes questions et mon sentiment d’inadéquation, d’autres femmes le ressentent en même temps, ou l’ont ressenti. Elles ont fait leur vie, la plupart ne regrettent pas leur choix.

Mais je me pose la question, et aujourd’hui encore : est-ce réellement un choix ? Quand mes amies me parlent d’une impulsion aussi primitive que celle de boire ou de manger, force est pour moi de constater que je n’ai jamais ressenti cela. Quand elles me parlent de se projeter dans l’avenir par le biais de leurs futurs enfants, je trouve cela triste. Pourquoi ne pas se projeter soi-même dans l’avenir ? Un des arguments qui m’agacent le plus est : « Iels rendront le monde meilleur ». Pourquoi leur faire porter d’avance cette charge ? Pourquoi ne pas s’efforcer au contraire, par amour pour elleux, de rendre ce monde meilleur afin qu’iels le trouvent plus harmonieux grâce aux efforts de leurs aîné·e·s ?

Et quand on me parle du lien de la chair, d’instinct maternel inné, je ne peux m’empêcher de penser aux enfants adopté·e·s : sont-iels moins aimé·e·s parce que pas issu·e·s du corps de leur mère ? Ça me paraît injuste et absurde. Je découvrirai bientôt dans mes lectures que l’instinct maternel est une construction sociale.

Je me mets, justement, en quête de livres sur le sujet. Il y en a très peu. Je trouve Pas d’enfant, dit-elle d’Edith Vallée, un recueil de témoignages. Quelques années plus tard, No Kid de Corinne Maier, sous-titré Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant, qui traite le sujet sous un angle humoristique (l’autrice a d’ailleurs elle-même eu des enfants, et elle semble à la fois les aimer et regretter leur présence dans sa vie). Il est léger, parfois outrancier, souvent drôle. Je n’y trouve pas de réponse à mes questions profondes. Qu’ai-je raté pour ne pas avoir l’envie de me reproduire ?

Une fois en couple, la pression sociale monte d’un cran

Je rencontre un jeune homme dont je tombe éperdument amoureuse, et nous commençons à vivre ensemble. Sur le site de rencontres où j’ai fait sa connaissance, à la question « Voulez-vous des enfants ? » j’ai coché Non, et lui Oui. Très vite, j’aborde le sujet. J’ai beau être mordue, on ne pourra pas aller très loin en étant en désaccord sur cette question-là, elle est trop fondamentale.

Je me rends compte qu’elle se pose différemment pour les hommes et pour les femmes. Là où nous entendons « Tu verras quand tu seras plus âgée/quand tu auras rencontré le bon », « Tu vas voir, l’instinct maternel va se déclencher », « Si tu n’en as pas, tu vas le regretter », « Qui s’occupera de toi quand tu seras vieille ? » et autres injonctions aussi creuses que culpabilisantes (Ma palme personnelle revient à « On n’est pas femme tant qu’on n’est pas devenue mère »), les hommes ne sont poussés à rien par la société, l’entourage.

Mon amoureux me dit qu’en fait, il ne s’est jamais posé la question de savoir s’il voulait des enfants ou non. Que, probablement, ça aurait dépendu de la femme qu’il aurait rencontrée et de son souhait. Qu’en faisant son examen de conscience et en se posant sincèrement la question, il en arrivait à la conclusion que finalement, lui non plus ne voulait pas d’enfants. Ou plutôt, que ça ne lui manquerait pas de ne pas en avoir. Que ce qui comptait pour lui, c’était notre relation.

Le temps passe. Nous travaillons tous les deux, nous voyons nos ami·e·s faire des enfants. Mes amies, pour certaines, me décrivent des grossesses assez pénibles. Certaines ont des problèmes de fertilité et doivent subir des traitements lourds. Candide, très probablement, je leur suggère l’adoption. Non, elles veulent que l’enfant soit d’elles. Elles veulent reconnaître leurs traits et ceux de leur compagnon dans le visage de leur bébé.

Mais à part cela, c’est mon désormais mari et moi qui nous faisons taxer d’égoïsme lorsque nous annonçons à notre entourage, lassés des « Quand est-ce que vous vous y mettez ? » et autres propos délicats sur notre supposée stérilité (enfin, surtout la supposée mienne), que non, avoir des enfants n’est pas au programme pour nous.

Lorsqu’on se retrouve dans cette situation, au pied du mur, fatigué·e par les insinuations, les injonctions, et de façon générale par cette fâcheuse tendance qu’ont les autres à se mêler de ce qui ne les regarde pas, on a souvent beaucoup pris sur soi. On a essayé de faire des allusions subtiles au fait qu’on était très bien comme ça, à deux. Que ça ne concernait que nous. Qu’il y avait d’autres enfants dont se soucier, à chérir dans l’entourage. Mais non.

Quand on vous pose la question en mettant les pieds dans le plat, il faut répondre avec autant d’aplomb et de fermeté que non, c’est non. Il faut ensuite, en tant que femme, se préparer à porter la responsabilité du « choix » de ne pas avoir d’enfants puisque, dans l’esprit de beaucoup, c’est la femme qui décide, et que l’homme n’est qu’une sorte de pantin dispensateur de semence. J’ai eu la grande chance d’être soutenue par mon mari, et qu’il mette les choses au point en précisant que oui, il était partie prenante de notre décision, qu’elle se prenait d’ailleurs à deux et non pas seule, et que non, il n’était pas à ma remorque.

Les soignant·e·s peuvent blesser

Une fois le problème de l’entourage réglé, on se croit sortie d’affaire. Que nenni ! Le corps médical s’y met. C’est la croix et la bannière pour me faire poser un stérilet (je suis alors trop jeune pour même rêver à une ligature des trompes), on dirait que les gynécologues et les généralistes ont peur pour moi que je ne puisse pas tomber enceinte d’une minute à l’autre si l’envie m’en prenait subitement.

L’un d’eux a même le toupet de me dire : « Imaginez que votre mari meure. Si vous rencontrez un homme qui veut des enfants, comment allez-vous faire ? » Plus qu’agacée, je réponds : « D’une, je ne veux pas imaginer la mort de mon mari. De deux, même si cet homme hypothétique en veut, moi je n’en voudrai toujours pas, donc il y a des chances pour que cette hypothétique relation ne marche pas. » J’ai aujourd’hui 36 ans. Autant dire que si j’avais voulu des enfants, il y a de grandes chances pour que j’en aie déjà eu.

Eh bien pas plus tard qu’il y a quelques mois, un médecin qui me demandait quels étaient mes projets d’avenir m’a suggéré alors que je ne lui avais rien demandé : « Un désir d’enfant, peut-être ? » (et cela alors que ma situation économique était devenue précaire) Echaudée par les âneries amicales, familiales et médicales que j’avais entendues, je lui ai dit que le problème était réglé depuis longtemps et que je ne souhaitais pas en parler. A-t-il réalisé qu’il était allé trop loin ?

S’est-il dit que, peut-être, il avait blessé dans sa chair une femme stérile (Je me suis toujours demandé si, avec leur manie de penser à notre place, les braves gens se sont demandé une fois dans leur vie ce que ça peut faire à une femme stérile, qui, par amour-propre ou pour toute autre raison, préfère dire qu’elle ne veut pas d’enfants au fait de dire qu’elle ne peut pas en avoir, d’être ramenée encore et toujours à cette question qui la fait souffrir…) ? Pas du tout, il m’a dit « Votre refus de répondre montre que vous avez un problème psychologique »…

Un non-désir d’enfant

Lorsque j’ai découvert Facebook il y a quelques années, j’y ai découvert aussi les groupes childfree, terme consacré pour les sans-enfants (le mouvement est très actif aux États-Unis). Une communauté variée, décomplexée, que j’ai fréquentée la plupart du temps en silence, mais qui m’a sortie de ma solitude. J’ai réalisé que tou·te·s, nous avions nos raisons de ne pas vouloir d’enfants.

Certain·e·s avaient des discours très construits, économiques, écologiques, auxquels j’ai aussi souscrit, mais plus comme un à-côté de ce que j’appelais désormais, en miroir, mon « non-désir d’enfant ». La plupart des femmes ressentaient le besoin irrépressible de donner la vie ? Je ressentais celui, non moins irrépressible, de ne pas la donner. C’était à la base de tout le reste pour moi, cette absence de désir. Cette envie de préserver ma vie telle qu’elle était, ma vie à deux, calme et libre.

D’autres, dans ces groupes childfree, avaient des discours plus trash, défoulement nécessaire face à toutes les injonctions sociales qui pèsent sur nous. Ces derniers temps, je m’en suis éloignée. J’ai des ami·e·s proches qui ne désirent pas non plus avoir des enfants, et on se comprend bien. A mon âge, on ne me casse plus les pieds (excepté ce médecin délicat comme un ours), je suis sûre de ce que je veux, je n’ai plus trop besoin de me retrouver avec des pairs.

Mon entourage s’est rendu compte que je suis heureuse comme ça, que je ne fuis pas lorsqu’on me présente un·e enfant si je lea trouve attendrissant·e, que je suis même capable d’être profondément attachée à certain·e·s d’entre elleux (Je crois que ça fait des nœuds au cerveau de certain·e·s, mais j’avoue que j’aime bien ne pas être cataloguable). Je m’efforcerai de leur transmettre ce en quoi je crois, et qu’iels ne soient pas les mien·ne·s ne change rien à l’affaire.

Une vie hors parentalité existe !

Ces dernières années, la maternité s’est un peu démythifiée. Non, la grossesse n’est pas pour toutes une période de béatitude ininterrompue, oui, la plupart des femmes ont peur de l’accouchement, de ses séquelles, de ne pas savoir s’y prendre avec leur bébé au début. Oui, certaines m’ont confié s’être demandé ce qu’elles avaient fait, à la maternité, seules devant le petit berceau, et si elles avaient bien fait, si elles allaient y arriver. Une chercheuse israélienne, Orna Donath, a même réalisé une étude sur les femmes qui regrettent d’être devenues mères.

Nous sommes de plus en plus nombreux·ses à affirmer, pour des raisons qui sont aussi diverses que nous, que nous ne voulons pas avoir d’enfant. Il est de plus en plus possible de parler intelligemment entre « celleux qui en veulent » et « celleux qui n’en veulent pas ». Reste à espérer que le corps médical ne sera pas à la traîne et saura écouter celleux qui veulent faire leur vie hors de la parentalité.

En tous les cas, je suis heureuse de l’évolution que je constate depuis mes dix-huit ans et mon isolement dans ma petite chambre, dans ma tête et dans mon non-désir. Les réseaux sociaux permettent de rencontrer des gens qui partagent notre vision des choses, les livres se sont multipliés, les émissions dans les médias aussi. L’image de la féminité et de la façon de s’accomplir en tant que femme se diversifie, même si du chemin reste à parcourir. Mais au moins, le modèle unique a été détruit par celleux qui entendent vivre leur vie à leur guise, et j’y vois un signe plus qu’encourageant !

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