Santé Validisme
Le validisme :
L'invisibilisation

et la

silenciation

des

personnes malades

au sein de la

société




Le problème, quand on est malade, c’est qu’on ne veut pas se résumer à ça. On ne veut pas que notre vie soit définie par ça.

Sauf qu’on n’y peut rien, parce qu’elle est partout – dans notre passé, notre présent et notre futur. Elle ne se fait pas oublier, elle ne disparait pas. Jamais. Elle fait partie intégrante de notre existence, et de notre identité.

Le problème, quand on est malade, c’est qu’on a ce sentiment de honte, parfois. De culpabilité, aussi. De gêne, souvent. On n’a de cesse de vouloir présenter des excuses, si ce n’est d’exister, surtout de notre état. Parce qu’on essaye de ne pas déranger, de se plier au monde environnant, à notre entourage, à la société inflexible.

Postulat validiste

Le monde n’est pas fait pour les personnes malades. Il est impitoyable.
Les personnes semblent partir du postulat qu’autrui est (forcément) en bonne santé. Qu’iel est en mesure de se plier à un rythme effréné. Qu’iel est en mesure de repousser ses limites, avec ce sentiment d’invulnérabilité et d’insouciance.
Sauf que, quand on est malade, on n’a pas (plus) cette insouciance, cette invulnérabilité. Quand on est malade, on connaît ses limites – parce que cela s’est imposé à soi, par la force des choses. On l’apprend à la dure, dans notre chair. On en garde les stigmates, cruel rappel de notre réalité.

Silenciation & faux semblant

On apprend à se taire. On n’a pas le droit de se plaindre – on serait accusé·e d’exagérer, de se morfondre, de ne pas faire d’effort.
Quand on est malade, on apprend à sourire, avec compassion, quand les autres ont mal à la tête ou ressentent des courbatures – et se lamentent à qui veut l’entendre.
Quand on est malade, on apprend à devenir invisible. On nous enlève ce droit de verbaliser la souffrance, les symptômes. On nous apprend que soit on se plie au monde valide, soit on s’écarte – en silence, toujours.

Parce que, quoi qu’il arrive, vous serez toujours la personne qui empêche votre groupe d’ami·e·s de faire quelque chose, parce que vous êtes fatigué·e.
Parce que, quand bien même vous le répéterez tous les jours, vous recevrez les mêmes remarques quant au fait de prendre l’ascenseur (même pour 2 étages). Vous recevrez des remarques et des conseils de tout le monde (parce qu’il semblerait que chacun·e ait décidé de s’improviser médecin), vous expliquant comment être en meilleure santé ou en bonne forme : que ce soit une liste de compléments alimentaires, ou la suggestion de se couvrir le décolleté ou encore les astuces de grand-mère – chacun·e y allant de sa remarque, sans penser à mal, alors que vous avez simplement un système immunitaire défaillant.
C’est fait souvent sans méchanceté, peut-être un poil de suffisance, mais c’est pesant. C’est intrusif, également. Parce que ces fameux conseils, énoncés de façon pontifiante, sont peut-être pertinents pour une personne ponctuellement sujette à la fatigue et à une carence ; mais ils ne le sont pas pour une personne malade, qui (vous vous en doutez bien) est déjà suivie par le corps médical.

Parce que personne ne se / vous demande vraiment comment vous allez – si ce n’est pour la forme, sans attendre de réponse sincère. Personne ne veut vraiment entendre chaque jour que vous êtes exténué·e – ce que vous êtes pourtant. Personne n’a envie de savoir que, quasiment tout le temps, vous ressentez des nausées et des douleurs latentes ou vivaces, des vertiges et des migraines. Personne ne veut savoir que, parfois, vous devez attendre 10 minutes pour vous lever de votre siège – parce que vous tremblez et ressentez une telle faiblesse musculaire que vous savez pertinemment que vos jambes ne vous porteront pas. Que, en portant votre linge jusqu’au séchoir, vous manquez de vous effondrer à même le sol, suite à une douleur aiguë au genou – encore une fois.
Personne n’a envie de savoir que vous êtes de nouveau terrassé·e par un virus saisonnier, comme chaque mois.
Vous vous entendriez répondre, si jamais vous avez eu l’impudence malheureuse d’avouer votre état, d’énoncer cette réalité qui est la vôtre (sans plainte ni émotion particulière) que vous êtes toujours fatigué·e et mal en point. Que vous avez toujours mal quelque part et que vous êtes toujours malade.

Spoiler alert : oui, c’est le cas. Oui, c’est à ça que ressemble la réalité et le quotidien d’une personne malade. Et cela ne devient pas plus facile ou plus supportable avec le temps, ou sur la durée. Les nausées vous soulèveront toujours autant le cœur. Les migraines vous martèleront toujours violemment les tempes. Les douleurs musculaires et neuropathiques seront toujours aussi vivaces, et n’auront de cesse de vous faire perdre contact avec la réalité – la souffrance étant trop intense, vous déconnectant de toute notion d’espace et de temps. La fatigue ne deviendra pas plus supportable, simplement votre référence de normalité – vous ne faites en effet que jongler entre les nuances de la palette de l’asthénie, sans jamais vous sentir en forme, reposé·e. Parce que vous ne serez jamais libéré·e du carcan de la maladie et de l’épuisement.
Alors, oui : en toute franchise, quand on vous répond laconiquement que « ça va » cela cache en réalité bien des maux et bien des symptômes. Les gestes sont lents et laborieux. Ce que les autres font sans y penser, de façon naturelle et instinctive, requiert de vous un véritable effort. Vous devez constamment économiser votre énergie et vos maigres forces pour réaliser une journée complète. Et quand on vous demande si ça va, quand vous encaissez les réflexions, quand vous cachez le tout derrière un sourire et une force à toute épreuve, cela vous demande le peu d’énergie que vous avez encore.

Invisibilisation & double peine

C’est une double peine, la maladie : il y a la maladie en tant que telle, et ce qu’elle nous fait (symptômes, traitements, état de santé) ; et il y a la maladie face au reste du monde, et ce qu’elle implique (rapports sociaux, validisme de la société, incompréhension, négation).
C’est le silence, le déni du monde qui est le plus difficile et le plus éprouvant. Cette invisibilisation des malades – leur refusant le droit à une vie sans contrainte sociale et matérielle. Tout est un parcours, parce que le monde est construit pour, et tourne autour des personnes valides.
Les accès sont pensés pour des personnes valides (escaliers, trottoirs endommagés, aménagement des lieux étroits…), les journées sont organisées pour les personnes en bonne forme (horaires, pénibilité, transports encombrés…). Si vous avez le malheur d’être malade, votre situation financière en pâtît, vos rapports à la hiérarchie également – quand vous pouvez seulement encore travailler.

Savez-vous à quoi ressemble mon armoire à pharmacie ? Non pas à deux boîtes de comprimés d’antidouleur et une trousse de secours sommaire se battant en duel. C’est un meuble à pharmacie. Un véritable petit meuble à tiroirs, rempli.
Je reviens toujours de la pharmacie, comme on reviendrait des courses : un sac rempli de boîtes, de pilules et de comprimés. Encore une fois. Il devrait exister des sortes de cartes fidélités : après tant de passages, vous avez droit à une boîte de vitamines offerte, ou bien un don reversé pour telle lutte contre la maladie… Ce serait bien ça ! Je me sentirais moins minable après.
C’est une suite de pilules, de comprimés à prendre consciencieusement. On en vient à ne plus les supporter, des hauts le cœur surgissant chaque gorgée d’eau avalée pour faire passer ces compagnons de lutte.

Le médecin est presque un ami à ce jour. J’ai de la chance de l’avoir : il est bienveillant et compétent. Et j’en suis non seulement reconnaissance mais également consciente.
Il a fallu du temps pour que je lui fasse confiance, après tant d’errance médicale et tant de méfiance face à ses collègues maltraitant·e·s. Mais c’est une drôle de relation que nous avons : je voudrais en effet ne pas avoir à le consulter. Ne pas connaître son cabinet par cœur. Ne pas savoir exactement comment se passe l’examen. Ne pas avoir à connaître tous ces noms de médicaments, pour les avoir déjà essayés – en vain.
On en est venu à plaisanter. À rire de mes symptômes. On tourne toujours en humour ces consultations, pour que ce soit plus supportable. Parfois, quand j’ai trop mal, je m’effondre en larmes sous son regard si gentil. Je voudrais ne pas être si vulnérable, mais il trouve toujours les mots. Il comprend. Il me soutient. C’est peut-être ce qu’il m’offre de plus beau et de plus précieux, ce non jugement et cette compréhension constante de ce que je vis. Il me fait le don de ce moment précieux où je peux déposer les armes et ôter cette façade de force et de sourire. Il m’offre ce répit inestimable d’avouer ma lassitude, mon effondrement, et de craquer.

De l’autre côté du miroir

On ne réalise jamais ce qu’est la santé, tant qu’on l’a. On prend ça pour acquis. On n’y pense simplement pas. Jusqu’au jour où c’est devenu un rêve chimérique. Un souvenir. Une illusion.
Jusqu’au jour où on se retrouve de l’autre côté de cette bulle, à la fois présente et à l’écart du monde environnant.

Pour que le regard de la société, des personnes change, il faut en parler. Le verbaliser. Pour que la situation des malades dans la société s’améliore, il faut expliquer. Il faut dénoncer ce qui pose problème.