CW : vision binaire et ciscentrée, mention de violences sexuelles et conjugales (sans descriptions)
Quand j’ai eu 13 ans, j’ai vu ma perception du monde se transformer. Parce que j’étais soudain confrontée aux informations, à l’actualité. Parce que je commençais à prendre la pleine mesure de ce qu’était la violence à travers le monde, les guerres (non plus seulement étudiées en cours d’Histoire, mais bien ancrée dans la contemporanéité — et tout ce que cela implique), la vulnérabilité et la détresse des êtres humains. Parce que j’ai découvert le harcèlement de rue, et que j’ai pris conscience de ce qu’était le sexisme pour la première fois.
Petit à petit, j’ai construit ma pensée, réfléchi, étudié. Je me suis déconstruite vis-à-vis du carcan de la norme et de la domination sociale. Petit à petit, j’ai pris la mesure de l’ethnocentrisme qui imprégnait les relations interpersonnelles et ce que cela avait pour conséquences politiques et sociales. J’ai pris conscience que j’étais privilégiée sur certains points et opprimée sur d’autres. J’ai enfin su mettre des mots sur ce que je pensais — à savoir que le genre n’est qu’une construction sociale essentialisant les personnes selon leur organe génital et reproducteur, leur attribuant ce faisant des pensées, des propriétés, des destins de vie spécifiques. J’ai enfin trouvé un mouvement qui représentait mes convictions, et mes réflexions.
Un féminisme inclusif
Le féminisme inclusif, c’est avant tout donner la parole aux personnes concernées. C’est refuser de ne représenter qu’une seule partie des femmes — tel un féminisme bon teint, mainstream, qui ne concernerait que les femmes cis blanches hétéros valides et (relativement) aisées.
Le féminisme inclusif, c’est ne pas prendre la décision de « libérer » autrui ; mais écouter les concerné·e·s, qui se chargent de se libérer seul·e·s.
Le féminisme inclusif, c’est un féminisme pluriel, riche en nuances, et complexe. C’est un féminisme qui n’a de cesse de se renouveler, de se remettre en question, de se questionner.
Le féminisme inclusif auquel je crois, que je défends ardemment, c’est un féminisme qui fait converger les luttes. C’est un féminisme qui ne hiérarchise pas les luttes, qui ne les invisibilise pas, et qui ne choisit pas quelles sont les causes qui doivent avoir la primeur d’être défendues.
C’est un féminisme qui prend en compte toutes les oppressions systémiques — racisme, sexisme, transphobie, homophobie, validisme, capacitisme, classisme (liste non exhaustive). C’est une étude des différentes formes d’oppression et de discrimination, en faisant une analyse croisée des problématiques de chacun·e dans un système de dominations plurielles (systémiques et ordinaires). C’est analyser le processus de domination, non pas à travers une seule face, mais à travers toutes les faces du prisme de la convergence des luttes.
Le féminisme que je défends, c’est un féminisme de choix.
Le choix de disposer de son corps, de sa sexualité. Le choix d’être libre de ses croyances, et de porter le voile. Le choix de refuser le carcan des normes de beauté, et de s’assumer. Le choix de faire ce qui nous plaît, indépendamment du marketing et des activités genrées.
C’est un féminisme qui défend les choix des personnes concernées à se réapproprier politiquement et économiquement les dominations du patriarcat dans le travail du sexe.
Privilèges
Le propre des dominations et des oppressions systémiques, c’est qu’elles résultent du système lui-même (comme son nom l’indique), et non pas des comportements individuels.
Il n’y a pas simplement besoin de pédagogie : cela signifierait qu’il suffirait de changer les mentalités et les coutumes, simplement pour y mettre un terme. Il y a besoin, il y a nécessité de changer le système, d’abolir le patriarcat. Parce que c’est là le propre des oppressions systémiques : c’est le système qui est en cause et qui est responsable de ce qui nous opprime.
Pour autant, cela ne dédouane pas les hommes de leur sexisme — ce serait un peu facile (ceci étant valable pour toute autre personne privilégiée dans le cadre d’un rapport de domination). Simplement, cela explique que même en ayant conscience du problème, ils bénéficient toujours de leurs privilèges — qu’ils soient d’accord ou non avec.
Que les hommes n’aient pas conscience de tous les privilèges qu’ils ont, c’est une chose.
Néanmoins, ils ont conscience de ne pas se faire agresser et/ou harceler tous les jours. Ils ont conscience qu’ils sont écoutés, et pris au sérieux pour leurs compétences. Ils ont conscience de ne pas être pris pour / réduits à des objets sexuels, de ne pas être pornifiés pour vendre de la glace ou une voiture. Ils ont conscience que leur carrière n’est pas mise en péril en raison de leur âge proche de l’âge moyen des femmes pour une grossesse, ou parce qu’ils sont parents.
Ils ont conscience de ne pas être insultés et/ou agressés sexuellement parce qu’ils mettent un short ou une jupe. Ils ont conscience de ne pas être statistiquement victimes de viols (une femme sur dix est ou sera victime de viol dans sa vie) et de violences conjugales au même niveau que les femmes (une femme décède des suites de violence conjugale tous les 2.7 jours). Ils ont conscience de ne pas être plus d’une centaine dans ce pays, chaque année, à être victime de meurtre de leur (ex) conjointe.
Ils ont conscience de ne pas faire toutes ou la majorité des tâches ménagères, et de s’occuper des enfants après le travail (la fameuse double journée). Ils ont conscience de ne pas être sous-payés pour le même travail. Ils ont conscience qu’on ne les réduit pas à leur corps et à leur allure lorsque l’on parle d’eux, quand ils sont élus ou cadres dirigeants.
Chosification du corps des femmes
& injonctions à la beauté
Le corps féminin n’est pas sublimé, il est utilisé. Chosifié. Il est en représentation, pour le plaisir des hommes : plaisir visuel (et tactile, puisqu’ils s’arrogent bien souvent le droit de toucher les femmes), et anticipation sexuelle. On leur laisse en effet croire qu’ils pourront assouvir leurs envies sexuelles avec la ou les femmes en question — lesquelles n’étant que des objets et non des sujets, n’ont d’autre choix que d’acquiescer.
Sauf que les femmes, pour cela, sont aliénées aux normes de beauté : la société les pousse à se mutiler, altérer leur corps, se torturer continuellement pour ressembler à un être inhumain — qui serait la somme des fantasmes masculins : jambes interminables, mince, taille marquée, poitrine développée, silhouette cambrée, ventre plat, pas la moindre once de graisse, la peau parfaite (pas de pores), pas de poils, pas d’odeur, pas de défauts ; tout doit être doux, lisse, glabre, et harmonieusement symétrique et proportionné.
Il est attendu et demandé aux femmes de passer des heures à se maquiller, se coiffer, s’épiler chaque fichu poil de leur corps, surveiller leur silhouette de façon obsessionnelle, rester « jeune », faire du sport pour être ferme et souple et sportive, être parfaitement agréable aux regards, être souriante et affable et douce et conciliante, être sexuellement désirable et disponible, s’habiller de vêtements inconfortables et être juchée sur des talons (qui leur font frôler l’entorse à chaque pas, et qui malmènent leur dos), etc.
Tout cela, ce n’est pas une sublimation du corps des femmes. C’est une objectification des fantasmes des hommes, reportés sur les corps des femmes. Et c’est une aliénation.
Coûts de la domination
& injonctions à la virilité
Se voiler la face, et vivre avec des œillères, ce n’est pas une excuse recevable. Jamais. Donc, oui, aujourd’hui V qui plus est avec iInternet — ils ont conscience de leurs privilèges, mais refusent de le reconnaître.
Parce que cela voudrait dire que ce n’est pas le résultat de leur soi-disant méritocratie. Que ce n’est pas normal. Que ce n’est pas équitable. Que ce n’est pas une fichue égalité, mais bien une domination systémique — dont ils bénéficient gracieusement, aux dépends des femmes. Parce que cela remettrait en cause toute leur vie, leurs faits et gestes, leurs propos, leur éducation, leur monde : et qu’ils réaliseraient alors avoir contribué à ce système oppressif. A cette culture du viol. Alors qu’ils s’estimaient être de bonnes personnes. Et ça, ça fait mal.
Les injonctions à la virilité, c’est l’effet boomerang du sexisme : parce qu’être une femme c’est vraiment pire que tout, il est insultant d’être considéré comme une femme, dans cette société. C’est insultant, et donc sont employés des termes liés à ces dernières, pour bien que cela imprègne tous les esprits que les femmes sont le paillasson de l’humanité. Alors on fait référence à leur sexe (con, conne, connasse, connerie), à leur position de dominées et de pénétrées sexuellement (enculé·e), à leur vie sexuelle (salope, pute, pétasse, sainte-nitouche, frigide), etc.
Alors on dit que faire [insérer une action] comme une fille, c’est vraiment la honte. C’est insultant. Parce que les filles, c’est faible et c’est niais. C’est juste bon à faire se reproduire l’espèce (d’ailleurs elles se coltinent les 9 mois de grossesse, et l’allaitement — c’est bien pratique) et s’occuper des hommes. Elles sont utiles pour assouvir les besoins sexuels, selon les envies et conditions (où, quand, comment) de leurs partenaires masculins. Le reste, pas besoin : elles ne sont bonnes à rien.
Être un homme, c’est avoir le pouvoir. Alors oui, il y a injonction à la force, à la vigueur, à la bestialité, à la domination. Le reste, c’est pour les femmes, qui leurs sont inférieures. Voilà d’où viennent les injonctions à la virilité : c’est le coût de la domination sexiste de cette société. Venir s’en plaindre, crier au sexisme anti-homme, c’est un poil indécent. Et le reprocher aux femmes, quand c’est la société qui l’a institué, c’est insultant et oppressif.
Enfin, je tiens à souligner que si les seules personnes privilégiées du système sont les hommes cis hétéro blancs et valides, c’est bien que ce sont eux à l’origine de ce fameux système.
Le privilège de vivre avec des œillères :
une insulte aux victimes
C’est facile, de laisser la haine et l’intolérance prendre ancrage partout dans le monde — puisque tou·te·s s’en rendent complices, en gardant le silence, en niant les faits, en minimisant la réalité.
Croire que tout va bien, que la vie est belle… c’est une réaction de personne privilégiée par la vie, grâce à une naissance au bon moment et au bon endroit — loin de la misère et de la monstruosité du monde, et loin à l’écart des processus de domination.
Quand on se permet de choisir de ne pas croire, on a un luxe que les autres (les concerné·e·s) n’ont pas, parce que c’est leur réalité. Leur quotidien. Leur vie.
Quand on se permet d’en rire, de ne pas penser à ce qu’il se passe, on fait le choix de se rendre complice égotiste de cette inhumanité abjecte.
Pour moi, ces (foutues) œillères, sont une véritable insulte aux victimes.
Oui, c’est difficile de se déconstruire. C’est parfois même un fardeau difficile à porter — parce qu’une fois qu’on ouvre les yeux, toute la trame de l’oppression du système devient apparente. Toute la construction même des rapports de domination nous implose en plein visage, nous obligeant à y faire face. Parce que c’est voir ces ramifications et les manifestations ordinaires de ces dominations au quotidien, dans tout, tout le temps.
Quant à celles et ceux qui me rétorquent que l’humain est intrinsèquement bon (et que c’est la société qui est la cause de tous les maux), au vu de l’Histoire et des horreurs commises chaque jour, je suis en désaccord. Il serait aisé de tout imputer au système : on a une conscience, un cerveau, une connaissance de ce qui est bien ou mal (ou entre les deux). Mais ce n’est pas la société qui pousse au génocide, au viol, au féminicide que je sache. Elle le cautionne, certes ; mais chaque décision prise, par chacun·e d’entre nous, se fait en ayant parfaitement conscience de si c’est bien ou mal. La société n’est pas responsable de tout et les humains ne sont pas les victimes innocentes du système en tous points. Le prétendre, c’est nier le libre arbitre, c’est déculpabiliser les oppresseurs, c’est nier la réalité des personnes, et c’est insultant vis-à-vis des victimes. Vraiment.
Un appel à la lutte
Alors, oui : c’est un appel à la mobilisation. Un appel à la lutte, à l’empowerement, à l’engagement. C’est un mouvement politique, militant, subversif. C’est une volonté manifeste de bouleverser les codes, de briser les chaînes qui nous entravent, de se défaire du carcan du système en place.
C’est une réappropriation de l’espace public, de nos corps, de nos vies. C’est un élan qui prend sa force au plus profond de nous — résultat des stigmates de ce que la société a laissé dans notre chair et nos vies.
C’est une lutte, et c’est la nôtre.