Racisme Societé

D’où je viens ?


De l’utérus de ma mère. *

Chroniques du racisme ordinaire

Roseaux, magazine féministe  Janna B.



 

« Tu viens d’où ? » Cette question toute mignonne et pleine de bonnes intentions est en fait profondément raciste. Mais pourquoi ?

Trouver la faille

Quand on me demande d’où je viens, je réponds « d’une petite ville à côté de Versailles, cherche pas, tu connais pas ». Quand, après avoir gentiment accepté ma réponse, on me renvoie un « Non, mais vraiment, tu viens d’où ? », je commence à me crisper. Ca peut aussi être un « Non, mais tes parents, ils viennent d’où ? » , « Non, mais je veux dire, avant ? », « Mais, tu es née ici ? ». En vérité, quand on te pose ce genre de questions, on n’en a rien à faire de savoir réellement d’où tu viens. Derrière toutes ces questions, aussi naïvement posées soient-elles, s’en cache une seule : pourquoi n’es-tu pas blanc·he ?

Qui a bien pu s’infiltrer dans ton arbre généalogique pour que tu aies les cheveux frisés, les yeux bridés, la peau noire ? Cette question est raciste à partir du moment où on ne la poserait pas à une personne blanche. Quand ton origine ethnique est la première chose dont on se soucie après ton prénom, là c’est raciste. Déjà, tout le monde a des origines. Tout le monde. Parfois on les revendique, parfois on ne les connait pas. Cécile, la petite blonde dont tu étais amoureuse au collège, elle aussi elle a des origines. Anglaises, allemandes, corses, polonaises ou autres. Elle aussi elle vient de quelque part. Mais à elle, on ne lui pose jamais la question.

Toi, l’étrangère

Quand on me demande d’où viennent mes parents, je réponds que ma mère est née en Vendée, et mon père à Reims, même s’il a toujours vécu à Marseille. Dans ce cas, il est possible que la personne raciste en face de moi laisse tomber, se rendant compte du ridicule de la situation. Et, parfois, avec une bière de trop, ou beaucoup de culot, elle insiste : « Et tes grands-parents ? ».

Et là, ça y est, la réponse tant attendue arrive enfin à leurs oreilles, l’exotisme, l’odeur de noix de coco et de vanille, les fleurs dans les cheveux, la réponse est là, enfin ! On sent que ça les soulage de savoir, de mettre des mots sur cette bizarrerie, sur cette peau un peu foncée, ces yeux en amandes. Ca leur fait du bien, tout est plus clair, maintenant on sait qu’on n’est pas vraiment pareil, oui bien sûr je suis née ici mais je viens de là-bas, j’ai une histoire, un passé lourd, quelque chose comme ça. « Mais du coup, tu parles plusieurs langues ? », « Tu dois bien savoir cuisiner ! », « Je rêverais d’y aller en vacances ». Tout cela, même si tu n’as jamais mis un pied dans le pays de tes fameuses origines, et que tu sais à peine le situer sur une carte.

Sexualisation et compliments déplacés

Il y une autre phrase que les personnes métisses, comme moi, ont du entendre plus d’une fois : « Oh, quel beau mélange ! » Comme si, déjà, le noir était plus beau quand il est mélangé à du blanc. Ta peau n’est pas trop foncée, tes cheveux ne sont pas trop bouclés. Tu nous ressemblerais presque. Il y juste la touche d’exotisme qu’il faut, assez pour te présenter à Miss France, « vas-y tente le coup, le teint hâlé est à la mode ».

« Couleuuuur caféééé, que j’aime ta couleuuuur café ! » Si tu crois que c’est comme ça que tu vas me pécho… Est-ce qu’il existe une chanson sur ta couleur un peu rose grisâtre ? Couleur beige canapé ? Bah quoi, ça ne se fait pas ? C’est méchant, c’est déplacé ? Mettons les choses en perspective pour comprendre que tout cela ne va jamais que dans un sens. Est-ce qu’on sexualise les Bigoudènes ? Bah quoi, elle ne sont pas sexy sous leur chapeau un peu bizarre ? Ca change, on ne voit pas ça souvent, c’est original. Je ne suis pas une chanson de Gainsbourg, ni de personne d’autre d’ailleurs. Je ne veux pas être un fantasme néo-colonial.

Racisme ordinaire, ou le faux intérêt

L’excuse de ces personnes racistes, c’est l’intérêt. Tu comprends, ça n’a rien à voir avec ta couleur de peau, elles aimeraient sincèrement savoir d’où tu viens, où tu es né·e, etc. C’est la curiosité qui les pousse à te demander tout ça. Cette curiosité, je l’appellerais plutôt le racisme ordinaire. Ca n’a l’air de rien, ça n’est pas méchant, c’est posé comme ça, entre le fromage vegan et le dessert, ça devrait glisser tout seul. C’est compliqué et insidieux.

Si tu te plains de ces questions dérangeantes, il y a de fortes chances que la plupart des gens autour de toi te regardent de travers. Bah quoi, cette personne ne t’a pas insulté·e, pas déprécié·e, pas regardé·e de travers, de quoi tu te plains ? Je me plains de ce cirque, de cette haine déguisée qui n’ose pas s’assumer pour ce qu’elle est : raciste, et rien d’autre.

Alors maintenant les petits curieux·ses, pensez à autre chose, je ne sais pas moi « Tu préfères les chiens ou les chats ? », « Quel est ton film préféré ? », « Tu vas faire quoi ce week-end ? ». Et surtout, surtout, posez-vous toujours cette question : est-ce que tu aurais demandé ça à un·e blanch·e ?

*Cette réplique vient de la super-géniale série « Parks and Recreation », si tu ne connais pas, annule tes rendez-vous pour les deux prochaines semaines, et have fun !

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