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"Ne rien dire c’est participer au harcèlement, le cautionner"

Harcèlement et refus de plainte

Roseaux, magazine féministe  Janna



Il y a quelques jours, Emmy, lycéenne de 16 ans, a décidé de raconter dans un thread Twitter, le harcèlement dont elle a été victime dans son lycée. Elle a accepté de répondre à nos questions, et son histoire met en lumière les dangers du harcèlement, notamment en ce qui concerne la santé mentale.

 

 

 

Il y a quelques jours, tu as publié sur Twitter ton histoire, où tu dis le harcèlement, en ligne et IRL, que des filles de ton lycée t’ont fait subir. Est-ce que tu peux nous raconter ce qu’il s’est passé ?

Je vais commencer par me présenter, je m’appelle Emmy, j’ai 16 ans, je suis en première Bac Pro MMV [Métiers de la mode – vêtements] au lycée Ernest Hemingway à Nîmes, je suis EIP HPI [Enfant Intellectuellement précoce et Haut Potentiel Intellectuel], surdouée entre autres mais du côté sentimental et artistique, je suis hypersensible, ce qui fait que mes moments de joie sont plus intenses et mes tristesses m’atteignent plus.

J’ai deux frères que j’aime et une famille géniale.

Tout à commencé l’année dernière, en Seconde, des filles m’ont prise en grippe car j’ai changé de groupe d’atelier, car l’ambiance de ce groupe et la prof n’étaient pas du tout favorables à un bon apprentissage.

Par la suite, elles ont commencé à me bousculer, à nous filmer en cachette, à se moquer, à m’insulter.
C’est parti tellement loin qu’elles m’ont frappée en face de mon lycée, le pire n’a pas été les coups, clairement ça à été de voir que les gens que je considérais comme mes ami·e·s fuyaient mon regard et m’ont laissée me faire frapper, alors que clairement je suis la première à aider.

 

 

Par la suite rien n’a cessé, ça s’est empiré.

Des surveillant·e·s ont vu ce qu’il s’est passé mais rien n’est remonté à l’administration du lycée.

Je vais vous passer un peu les humiliations pour arriver a cette année, cette année où tout a empiré.

Cyberharcèlement, menaces, …

 

 

J’ai voulu porter plainte.

J’ai été à l’hôtel de police de ma ville, où ma plainte à été refusée (contrairement à l’article 5 de leur charte d’accueil, sous prétexte que l’officier a fait changer sa fille d’établissement scolaire).

 

 

Or je ne compte pas changer de lycée. Pour moi une victime n’a pas à fuir, c’est aux harceleur·se·s d’en changer, j’ai assez fui.

 

 

 

Pourquoi est-ce que tu as décidé d’en parler sur Twitter ? Est-ce que le mouvement #metoo t’a encouragée à ne pas te taire ?

J’ai décidé d’en parler sur Twitter car j’avais besoin d’en parler, de faire prendre conscience aux gens que ce n’est pas normal, par la suite j’ai pris connaissance de ce mouvement grâce à des messages privés de personnes très gentilles et j’ai compris que je n’étais pas seule !

 

Tu es encore lycéenne et tu as déjà conscience de beaucoup de choses en ce qui concerne le féminisme et en l’occurrence le harcèlement : d’où vient ton éveil au féminisme ? (des personnes, des livres, des comptes Twitter, etc.)

Depuis très jeune, j’ai pensé que les femmes devaient êtres égales aux hommes, que nous avions des droits sur notre sexualité (je suis très libérée sur le sujet, nous avons le droit de la vivre comme bon nous semble, avec qui nous voulons quand nous voulons et ne pas nous soumettre à des diktats comme ceux que nous pouvons entendre.)

Je m’intéresse à beaucoup de sujets, et à des femmes comme Louise Weiss ou Simone Veil…

Mon éveil provient de livres comme The Feminine Mystique de Betty Friedan, ou de comptes Instagram comme T’as joui ? de Dora Moutot, de musiques, de femmes de ma famille, etc.

 

 

 

Qu’est-ce que tu voudrais dire aux autres jeunes de ton âge qui sont victimes comme toi de ce genre de choses ?

Tellement de choses…

Ce n’est pas normal d’être harcelé·e, clairement.

Nous ne sommes pas seul·e·s, nous ne devons pas nous sentir coupables de qui nous sommes ou de quoi que ce soit. Sur le moment on se sent très bête, on pense que c’est de notre faute, mais en réalité la faute est celle des gens qui nous font vivre l’enfer, ce n’est pas NORMAL d’être sans cesse en panique à l’idée d’aller en cours, au travail, de faire attention à nos moindres faits et gestes sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie.

Il faut en parler, chose que je n’ai pas faite avant un très long moment, on ne peut pas régler cela tout·e seul·e. Les adultes ne sont pas toujours de notre côté malheureusement, mais nous avons TOUJOURS quelqu’un·e qui nous écoutera, le père d’une amie, nos parents, l’infirmière scolaire, …

PARLEZ-EN. Ce n’est pas facile mais c’est comme ça qu’on s’en sort.

Ne laissez pas les gens vous faire croire des choses, vous êtes beaux, belles, intelligents, intelligentes, vous êtes aimé·e·s, vous ne méritez pas tout ça.

La loi est là pour vous protéger, même si parfois elle n’est pas appliquée.

Et surtout si vous êtes témoin de quoi que ce soit, allez voir la personne qui se fait moquer et parlez-lui, faites lui comprendre qu’elle n’est pas seule.

Ne rien dire c’est participer au harcèlement, le cautionner.

Battez vous pour vos droits, ces personnes doivent être punies par la loi, être stoppées. Courage, vous êtes fort·e·s.

 

Comment tu te sens ? Quelles sont les conséquences de ces actes et de ces propos sur ta santé mentale et sur ta scolarité ?

Ma moyenne à beaucoup baissé, mon envie d’aller en cours aussi.

Je me sens très mal bien sûr, je n’arrive parfois pas à dormir, je pleure beaucoup, mais je vois le bout du tunnel, c’est bientôt fini.

Ça m’a beaucoup endurcie, j’ai pris conscience que la vie n’est pas toute rose, j’ai appris a croire en moi, malgré tout cela m’a aussi impactée en positif, je suis prête à tout affronter à défendre les gens, à me faire entendre.

 

Et aujourd’hui ça en est où ?

Je suis convoquée en conseil de discipline, pour ces filles.

J’ai très peur d’y aller, de devoir tout réexpliquer, mais c’est la dernière fois que je le ferai, tout va se régler je suis confiante.

Je suis déterminée à me faire entendre, à parler, pas seulement pour moi, mais aussi pour les autres, je refuse qu’elles fassent encore du mal à quelqu’un·e.

J’ai été enfoncée, moquée, frappée, suivie, menacée, mais c’est fini, je le sais !

 

 

Merci beaucoup à Roseaux Magazine de m’avoir donné l’occasion de parler, de véhiculer mon message.

Merci à toutes les personnes qui ont partagé mon thread sur Twitter, à celles et ceux qui m’ont portée, et m’ont donné le courage de reprendre ma vie en main.

Ah et aussi, j’allais oublier, vivez votre vie comme vous le sentez, vous êtes maître·sse·s de vos actes !

 

Pour aller plus loin :

- Le collectif féministe contre le harcèlement 
- Les conseils d'une psy pour répondre au harcèlement scolaire, à lire et/ou à écouter sur France Inter 
- Des collégien·ne·s racontent, à lire et/ou à regarder sur France Info TV




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