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Endométriose : parcours croisés Roseaux, magazine féministe  Janna B.



NB. Nous présentons ici deux témoignages de femmes cisgenres, mais la maladie touche bien évidemment toutes les personnes réglées.

 

 

L’endométriose, cette maladie encore mal connue, commence enfin à faire parler d’elle. Touchant environ une personne réglée sur 10, elle est toujours très mal diagnostiquée, souvent très tard. Entre manque d’écoute généralisé, tabou des règles et vie amoureuse, nous avons recueilli les témoignages de Naïma et Marie-Aude. Deux parcours différents, deux vies que l’endométriose a bouleversées pour toujours.

 

 

Qu’est-ce que l’endométriose ?

 

L’endométriose est une maladie chronique qui touche environ 10 % des personnes possédant un utérus ayant leurs règles. Son origine est encore inconnue, et ses symptômes sont très variables, ce qui rend son diagnostic difficile.

Au cours du cycle menstruel, l’endomètre (la paroi de l’utérus) s’épaissit pour accueillir un éventuel embryon. Lorsque tout se passe bien, en l’absence de fécondation, l’endomètre se désagrège et les tissus sont évacués par le vagin : ce sont les règles. Chez les personnes atteintes d’endométriose, une partie de ces tissus n’est pas évacuée et migre vers d’autres organes (péritoine, appareil digestif, poumons…) sur lesquelles elle va provoquer des lésions.

L’endométriose est l’une des causes principales de la dysménorrhée (les règles douloureuses) – un symptôme très rarement pris au sérieux par le personnel médical, et à propos duquel les personnes réglées ont appris à ne pas se plaindre.

Nous avons rencontré deux femmes, Marie-Aude et Naïma, qui ont accepté de nous raconter leur parcours.

 

Reconnaître la douleur, une étape nécessaire

 

Marie-Aude : J’ai été réglée à 14 ans. Vers 17 ans, je n’avais pas de douleurs de règles à proprement parler. Mais… j’avais mal à l’épaule droite. Au début je n’ai pas fait attention que c’était toujours pendant mes règles. Donc j’ai fait des radios, mon médecin n’a rien trouvé sur les radios.

Puis j’ai compris que c’était seulement pendant les règles. Alors j’en ai parlé au gynéco qui me suivait. Un vieil obstétricien Stéphanois qui portait un nœud papillon. Il a ri… Je lui en ai parlé plusieurs fois. Il a toujours ri.

Entre 17 et 28 ans, mes règles ont évolué vers des douleurs extrêmement fortes, à en vomir mes tripes des nuits entières. J’ai des douleurs thoraciques aussi. Mais les « c’est dans la tête » « vous êtes douillette » « vous vous êtes coincé un nerf » «  vous êtes angoissée », les visites de médecins de nuits aux divers diagnostics de fausses couches, grossesses extra utérines, et autres inepties en tous genres, malgré mes « non mais j’ai mes règles en fait ! j’ai même pas de copain ! » m’avaient convaincue que c’était « normal ». À ce stade-là, je n’avais même pas conscience que vomir ses tripes c’était pas normal. Ils m’avaient convaincue !

Naïma : À 29 ans, j’ai voulu cesser de prendre la pilule que je ne supportais pas très bien. Ma gynécologue m’a proposé de me mettre un stérilet. Au bout de quelques cycles, les règles sont devenues cataclysmiques : douleurs abdominales insoutenables, (comme si on me donnait des coups de couteau dans le ventre toutes les 15 secondes, pendant des heures),  poussées de fièvres, vomissements matinaux, douleurs très fortes dans le bassin, et dans l’épaule droite, et une immense, immense fatigue.

Ces jours-là me lever pour aller faire cours était véritablement un cauchemar. En revanche, contrairement à certaines femmes atteintes de cette maladie, mes rapports sexuels n’étaient pas douloureux. Comme j’écrivais ma thèse, je n’ai pas pensé à en parler de manière précise à mon médecin, j’ai cru qu’il s’agissait d’une réaction au stress. Et puis j’avais été élevée dans l’idée que c’était normal de souffrir pendant les règles. Ma gynéco m’a donc simplement prescrit un anti douleurs plus puissant que le Doliprane (le Spifen).

 

J’avais été élevée dans l’idée que c’était normal de souffrir pendant les règles.

 

L’endométriose, un diagnostic souvent tardif

Marie-Aude : L’année de mes 28 ans, j’étais à Lyon et j’ai pris rendez-vous au hasard chez une gynéco lyonnaise pour renouveler mon ordonnance de pilule. Avant de m’ausculter elle m’a posé les questions de rigueur. Parmi lesquelles : « est-ce qu’il y a quelque chose de spécial que vous souhaitez que je note ? »

J’ai expliqué que j’avais des règles extrêmement douloureuses sans en faire plus de cas (puisque c’était normal). Et j’ai ajouté, « et je vous le dis quand même, même si ça fait rire mon gynéco habituel, mais quand j’ai mes règles, j’ai mal à l’épaule. ».

Et ça ne l’a pas fait rire, elle. Sans même m’ausculter, elle savait. Elle a sorti une petite plaquette « publicitaire » avec écrit Endométriose dessus. C’était fin décembre 2006. Ma douleur à l’épaule, c’était une douleur fantôme d’un nerf qui « passait par là » et qui venait du péritoine. Et une inflammation du péritoine, ça n’était pas normal.

Quelques semaines plus tard, janvier 2007, j’ai eu une petite phase à vide, beaucoup d’insomnies. J’ai été en arrêt maladie (2 ou 3 semaines) et comme c’était autour du Nouvel An, j’ai eu une convocation de la Sécu. J’ai expliqué à la doctoresse que je ne dormais plus, je ne comprenais pas trop ce qui m’arrivait, que mon cerveau moulinait sur cette histoire d’« endométriose ». Elle m’a répondu « ma petite dame, la sécu n’est pas là pour payer pour vos petits coups de déprimes. L’endométriose, c’est pas une maladie, c’est un inconvénient du quotidien ! Alors vous allez retourner travailler ». Et bien crois-le ou non, ça m’a rassurée. Je me suis sentie soulagée que ce ne soit qu’un « inconvénient », finalement. Un inconvénient c’est pas « grave », on s’adapte et hop !

Naïma : Quelques mois [après avoir eu un nouvel anti douleurs], j’ai remarqué qu’après mes règles mon ventre restait très gonflé – comme si j’étais enceinte de 3 mois. J’ai consulté un médecin généraliste qui a tout de suite émis l’hypothèse d’un kyste ovarien. Il m’a envoyée faire une échographie qui a révélé deux énormes kystes ovariens, endométriosiques.

Je n’avais qu’une seule fois entendu parler de cette maladie par une amie, mais elle ne m’avait pas vraiment précisé les symptômes. En tout cas , je n’avais jamais fait le lien. Quand elle a eu les résultats de l’échographie, ma gynécologue est tombée des nues. « Vous aviez des douleurs fortes ? » a-t-elle demandé. Et j’ai enfin pu décrire précisément ce que je subissais tous les mois. Je ne saurais décrire sa réaction : peut-être embarrassée d’être passée à côté d’un truc aussi énorme ? De mon côté et a posteriori, j’ai eu honte de n’avoir jamais pensé à lui avoir parlé plus tôt et plus précisément de mes symptômes. Peut-être aurait-elle dû, lorsque je lui ai dit que mes règles étaient très douloureuses, me demander plus précisément comment se manifestaient ces douleurs ? À l’époque, la maladie était très méconnue.

Ma gynécologue a été sinon très bien, attentive, et pleine de tact. Elle m’a expliqué ce qu’était la maladie, en évitant soigneusement de me tenir un discours alarmiste. Elle m’a envoyée me faire opérer par une très bonne chirurgienne – très bonne d’un point de vue technique. J’ai été opérée quelques semaines plus tard, sans bien comprendre ce qui était en train de m’arriver. L’opération s’est bien passée. Après, je n’ai vu que des infirmières qui ne m’ont donné aucune information.

Ce n’est que la veille de ma sortie de la clinique que la chirurgienne est passée dans ma chambre. Son diagnostic a été d’une brutalité inouïe. Elle m’a dit que j’avais une endométriose de stade III, que je n’aurai jamais d’enfant « spontanément ». Que si j’en voulais, il fallait passer directement par la FIV et comme j’étais célibataire, elle a conclu par un « Partez en chasse ». J’étais sous le choc et effondrée, j’ai sangloté pendant tout mon retour de la clinique. Non pas que j’avais rêvé d’avoir des enfants, mais je ne voulais pas être privée de cette possibilité. Ajoutons surtout que je viens d’une famille ultra nataliste, totalement obsédée par la maternité. Un drame donc si l’on se place dans la perspective de cette généalogie de ces mères triomphantes et procréatrices.

 

« L’endométriose, c’est pas une maladie, c’est un inconvénient du quotidien ! »

 

Traitements et opération, parcours de combattant·te·s

 

Naïma : J’ai eu tout de suite après un traitement au décapeptyl pendant 3 mois. C’est un médicament qui te met dans un état de ménopause artificielle avec toutes ses joies (fatigue, bouffées de chaleur). Puis j’ai pris une pilule très dosée en progestérone (Androcur) avec un peu d’œstrogènes pour équilibrer. Ce traitement m’a très bien convenu pendant 3 ou 4 ans. J’avais des règles très symboliques et plus aucun kyste. C’était un immense soulagement.

Mais quand, vers 34-35 ans j’étais en couple avec un amoureux avec lequel je vivais – et je vis toujours – s’est posée la question des enfants. La pression sociale est énorme en France ; on s’en rend peu compte je crois. Sans être bien certaine d’en vouloir, j’ai souhaité essayer « à tout hasard ». J’ai arrêté la pilule, et là, re-catastrophe. Douleurs atroces, kystes, suivis d’une grosse opération qui m’a laissée dans un état d’immense fatigue car on a enchaîné le décapeptyl + 2 FIV. Évidemment, deux échecs coup sur coup (je dis évidemment car j’étais dans un tel état d’épuisement physique que je ne vois pas comment cela aurait pu marcher).

J’étais physiquement et psychologiquement l’ombre de moi-même, déprimée, épuisée, je ne savais plus ce que je voulais. J’ai entamé une psychothérapie avec une psychanalyste géniale. Ma première sortie hors du désastre a été de décider de ne plus jamais tenter les FIV (j’avais vraiment détesté les traitements douloureux et éprouvants). Il m’a fallu quelques mois ensuite pour reconnaître que je ne voulais en fait pas d’enfant, que ça ne me manquait pas.

À partir de là, j’ai changé mon approche de l’endométriose. J’ai suivi un groupe de parole sur la sexualité féminine dirigé par Danièle Flaumenbaum, j’ai beaucoup lu les blogs qui proposaient un traitement moins violent et plus alternatif de la maladie (par exemple celui de la Canadienne Gisèle Frenette qui a publié un livre sur la question). J’ai complètement changé mon alimentation. Cette maladie étant très inflammatoire, j’ai consulté avec beaucoup d’intérêt l’ouvrage de la Dre Catherine Serfaty, L’Alimentation anti-inflammatoire. J’ai supprimé le lait de vache – et quasiment le lactose –, réduit radicalement le gluten. Je mange beaucoup de fruits, légumes, de  graines (de lin, de noix etc.), pas de viande rouge. En fait je suis devenue végétarienne à 80 %. Ça eu déjà un effet notable sur la fatigue. J’ai fait plus de sport doux (yoga, pilates, danse, natation) ; j’ai tenté – sans succès éclatant à vrai dire – l’acupuncture. Bref, une approche beaucoup plus respectueuse du corps.

Malheureusement vers 38-39 ans on m’a encore trouvé un kyste suspect – qui se révèlera en fait tout à fait inoffensif. Dernière opération. Le chirurgien m’a retiré mon ovaire droit. J’étais furieuse et là encore très déprimée, mais cette fois-ci cette déprime n’a pas duré. J’ai décidé que j’en avais fini avec la chirurgie. Aujourd’hui je prends une pilule classique en continu, je poursuis mon alimentation healthy et je n’ai plus de douleur du tout. C’est très agréable, même si dans l’idéal, j’aimerais ne plus être gavée d’hormones.

Marie-Aude : En avril 2007, et après avoir rencontré plusieurs chirurgiens qui ne m’avaient pas plu, j’ai eu ma « cœlioscopie » (un examen de l’abdomen par endoscopie, NDLR) pour confirmer le diagnostic. La chirurgienne me propose une prise en charge post-opératoire qui correspond à un début de parcours de PMA. Elle a l’habitude que les patientes qu’elle opère pour une endométriose arrivent dans son bloc parce qu’elles n’arrivent pas à faire un bébé. Elle ne s’est même pas rendue compte que ce n’était pas mon cas. Je ne l’ai plus revue.

Et elle n’a pas non plus fait attention à mes douleurs thoraciques… Mais si elle avait regardé du coté de mon diaphragme, probablement que je n’aurais pas subi deux opération du poumon.

De 2007 à 2009, mes douleurs de règles sont beaucoup plus légères depuis la cœlioscopie. Mais bizarrement, j’ai toujours ces douleurs thoraciques. Parfois elles sont trop fortes alors je vais voir mon médecin. Il ne cherche pas. Pour lui ça n’a rien à voir avec mes règles. Il me cherche des angoisses ou des vertèbres déplacées.

Alors je vais consulter le docteur Google. Je tape « endométriose » « règles » « douleurs thorax ». Le docteur Google répond « pneumothorax cataménial ». J’en parle à mon médecin, il ricane. Je lui dit « ok donnez-moi une ordonnance, la prochaine fois que ça arrive je vais faire une radio, et si ça se trouve j’aurai tort ».

Mais je n’avais pas tort. Mon diaphragme était percé sur 2 cm par des lésions d’endométriose, et elle s’était infiltrée entre mon poumon et ma plèvre. Chaque mois, ma plèvre avait ses règles, et j’allais travailler avec un pneumothorax. Selon mes calculs j’ai dû faire un pneumothorax (décollement de la plèvre) par mois pendant plusieurs années. J’ai même un épisode du Dr House !

J’ai eu ma première opération du poumon en août 2009. Ça n’a pas tout à fait tenu, j’ai dû être réopérée en avril 2011. J’étais en formation dans une grande maison de maroquinerie qui s’apprêtait à me signer un contrat. Mais la deuxième opération du poumon a fait tomber ce projet aussi à l’eau. Après ça, un pneumologue qui n’y connaissait rien à l’endométriose avait suggéré qu’on m’ouvre la cage thoracique, qu’on en sorte mon poumon pour enlever toutes les petites lésions. Mon spécialiste a éclaté de rire quand je lui ai dit. Ouf, m’ouvrir la cage thoracique avec une scie ne fait pas partie du plan.

Et en juillet 2011 il a fallu opérer rein-vessie-uretère (j’ai porté une sonde entre le rein et la vessie toute l’année qui a précédé, l’uretère était bouché par l’endométriose) et on m’a enlevé le sigmoïde (portion du colon) parce que c’était bouché aussi…

Toutes ces années, il a fallu gérer la douleur. Les médicaments soulageaient moyennement, anti-douleurs, anti-inflammatoires. Malheureusement les deux qui fonctionnaient le mieux ont été retirés de la vente en 2010 (Di-Antalvic et Apranax). Donc il a fallu repartir en quête du bon médicament. La plupart ne marchent pas. Ceux qui marchent ont trop d’effets secondaires. Je ne cherche pas les médecines alternatives, mes douleurs sont trop fortes. J’apprends la patience, je m’habitue à la douleur en respirant. Je souffre et j’attends que ça passe…

La plupart des médecins connaissent la maladie mais la perçoivent comme un inconvénient qui fait mal et qui nous empêche de procréer. Donc ils n’en ont rien à foutre, ce sont des problèmes de femmes, donc ça n’est pas très important. Ça fait tourner les laboratoires, les pharmacies, les clinique de PMA, tout le monde est content. Et les associations d’endo-girls ne communiquent que sur le terrain de la procréation. Nous ne sommes pas un problème de santé publique, nous sommes une horde de meufs qui veulent des bébés. Comment nous prendrait-on au sérieux ? Personne ne parle des dommages irréparables sur les organes, des sondes urinaires, des poches de stomie, des occlusions intestinales, des diarrhées hémorragiques. C’est aussi ça la réalité de cette maladie.

Mes deux derniers chirurgiens sont des perles. Je suis dans une grande ville, j’ai fait des recherches pour les trouver. Comment faire pour toutes celles qui n’ont pas le choix de soignant·e·s qu’offre une agglomération comme Lyon ? Ben elles tombent sur des nazes, qui poussent le vice jusqu’à s’offrir des petites opérations « ludiques » pour voir comment ça se passe là-dedans, alors que dans la plupart des cas, si le diagnostic est fait dans un délai raisonnable, il n’est PAS nécessaire d’opérer !

 

Nous ne sommes pas un problème de santé publique, nous sommes une horde de meufs qui veulent des bébés. Comment nous prendrait-on au sérieux ?

 

Vivre avec l’endométriose

 

Naïma : L’endométriose n’a plus de conséquences sur ma vie, si ce n’est que j’ai l’impression – à confirmer dans une prochaine visite médicale – que toutes ces opérations à répétition ont beaucoup nui à mes ovaires et que je suis probablement en pré-ménopause. Mais comme je prends la pilule, je n’ai aucun signe clair dans ce sens.

Aujourd’hui, je vais très bien ! Le seul avantage que je tire de cette maladie, c’est qu’elle m’a obligée à me poser des questions dont de nombreuses femmes font l’économie : est-ce que je veux vraiment un enfant ? Et pour quelles raisons ? Est-ce que je connais bien mon corps ? C’est quoi vraiment un utérus ? Quelle est ma perception de ma sexualité, etc. ? Et puis tant d’autres qui n’ont plus rien à avoir avec la maladie. Je suis allée consulter cette psychanalyste pour parler des difficultés liées à l’endométriose, et je me suis lancée dans l’aventure de l’analyse qui est vraiment passionnante.

L’endométriose a comme disparu de ma vie psychique et personnelle, c’est devenu quelque chose de complètement annexe. Je ne suis pas certaine que sans l’endométriose, j’aurais eu le courage de le faire. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est une maladie qui m’a amenée à déconstruire un nombre incalculable de préjugés et de normes sur le corps féminin, sur la « féminité », la maternité, la famille, la sexualité. Bon, j’aurais préféré me poser ces questions sans en passer par là…

Marie-Aude : Je vais avoir 40 ans. Mon endométriose et moi partageons le même corps depuis plus de 20 ans. Un bébé n’a pas vraiment été une option pour nous. Avec le problème de diaphragme percé, le risque d’une grossesse pour mon poumon nous a semblé trop grand et nous avons simplement écarté l’idée. Je ne sais pas si nous l’aurions fait. J’aurais simplement aimé avoir le choix.

J’ai aujourd’hui une reconnaissance de travailleur handicapé pour ma maladie et une invalidité à 30 % pour les séquelles. J’ai compris il y a un an et demi que tous mes efforts seraient vains pour tenter d’évoluer professionnellement dans mon entreprise. La société n’offre pas d’évolution professionnelle aux « faibles ». Donc je suis coincée dans un descriptif de poste qui n’a pas évolué en 13 ans. J’ai cru à un moment avoir une chance en remplaçant un collègue sur un poste intéressant mais quand le poste a été vacant, ils ont titularisé un homme sans même considérer ma candidature.

Je candidate sur des postes de superviseurs, mais… je suis à temps partiel. Oui c’est vrai, MAIS MON CERVEAU N’EST PAS MORT ! ! ! ! J’ai fait un bilan de compétence dont la conclusion a été plus ou moins « non mais avec un statut de travailleur handicapé il vaudrait mieux rester là ou vous êtes. De toute façon, les postes à responsabilité c’est pas pour les handicapés… » Donc si j’écoute la société, je vais faire un job d’étudiant jusqu’à la retraite pour surtout ne pas déranger l’ordre établi par la société selon lequel les « faibles », on les range dans un placard et on ne les sort surtout pas quand le client est en visite.

Au-delà de la colère, la frustration, l’aigreur que laisse l’endométriose derrière elle, il faut reconnaître aussi qu’ elle nous rend fortes comme 10, obstinées, et têtues ! J’essaye quand même de construire une vie professionnelle, mais j’ai cette fatigue qui ne me quitte jamais, cette peur aussi qu’à chaque fois que je fais un pas en avant, l’endométriose m’en fasse faire quatre en arrière.

Je n’avais pas de rêve précis en tête sur ce que serait ma vie plus tard. Mais ça ne ressemblait certainement pas à ça. J’imaginais une forme d’épanouissement dans ma vie de femme, dans ma vie professionnelle. J’ai été en souffrance physique pendant toutes ces années ou l’endométriose me brûlait à vif et je n’ai jamais faibli moralement. Je ne me souviens même pas avoir pleuré sur mon sort. Peut-être une fois dans ma voiture avec une copine. Je ne pleurais pas pour l’endométriose elle-même. Je pleurais parce que je ne voyais pas comment mon copain pourrait rester avec moi avec cette maladie. Je n’ai fait qu’avancer au travers de mes douleurs, rendez-vous médicaux, opérations, convalescences ! Tout ça s’est passé sans trop y réfléchir. On a pas le choix, on avance. À vif, je n’avais pas le temps ou l’énergie d’avoir des émotions.

Aujourd’hui que mon traitement stoppe les symptômes, c’est comme regarder le jour se lever sur sa propre vie après le passage d’un tsunami. Il faut tout construire mais avec le souffle coupé et les sanglot coincés dans la gorge. Il y a les séquelles physiques, les séquelles dans la tête, les séquelles sur ma vie pro. C’est aujourd’hui que la maladie est « sous contrôle » et ne me fait plus trop souffrir que mes émotions remontent. Je fais le constat que l’endométriose a dévasté ma vie.

J’ai la chance d’avoir un mari qui m’a accompagnée, soutenue, fait rire. J’ai la chance d’avoir des amies merveilleuses et une famille qui est là quoiqu’il arrive. J’ai cette chance-là. Je n’ai rien d’autre.

 

J’ai cette fatigue qui ne me quitte jamais, cette peur aussi qu’à chaque fois que je fais un pas en avant, l’endométriose m’en fasse faire quatre en arrière.

 

Un message à faire passer ?

 

Marie-Aude : Aux jeunes filles, celles pour qui il est encore temps, je veux leur dire « Non, souffrir n’est pas normal ! Non ce n’est PAS dans ta tête ! »

Cette femme médecin que j’ai vue lors de cette convocation de la Sécu en janvier 2007, j’aimerais bien rediscuter avec elle, de mon parcours, de ma vie aujourd’hui, de tout ce dont l’endométriose m’a privée (énergie, bébé, évolution professionnelle, joie de vivre, légèreté tout simplement) et puis on va redéfinir ensemble la notion d’« inconvénient du quotidien »…

Naïma : Tout d’abord, il faudrait dire à toutes les jeunes filles qu’il n’est pas DU TOUT normal de souffrir quand on a ses règles. Les règles sont un phénomène naturel qui n’est pas censé être douloureux. Une amie (qui n’a pas d’endométriose) m’a expliqué que le jour où elle a lu que règles et souffrances n’étaient pas une association obligatoire, elle a cessé d’avoir mal pendant ses règles. Donc, même si on n’a pas d’endométriose, il n’est pas normal d’avoir mal. Je crois que cette souffrance est beaucoup liée à la manière dont les mères transmettent le fait d’être femme et plus généralement au discours constant et inchangé sur les règles forcément douloureuses. Comme si le pouvoir que de produire du même et de l’autre, la capacité d’engendrer que les règles manifestent, pour parler avec Françoise Héritier, devait se payer, et cher.

Pour les personnes qui souffrent d’endométriose, je dirais qu’il faut trouver un bon médecin. Or, il y a très peu de véritables spécialistes de l’endométriose, comme l’indique Anne Steiger dans son livre récemment paru (Une araignée dans le ventre). Je conseille donc de voir plusieurs médecins, de se méfier des fous du bistouri : de nombreuses études montrent que la multiplication des interventions chirurgicales épuise les ovaires et « excite » la maladie. Il faut vraiment chercher des méthodes plus douces et associer médecines alternatives (le shiatsu aurait par exemple un effet bénéfique ; je n’ai pas essayé) et médecine occidentale. L’alimentation à mon avis joue un rôle essentiel. Or, la plupart des gynécologues ne s’y intéressent absolument pas. Je déconseille les forums, franchement déprimants où on lit des histoires toutes plus affreuses les unes que les autres. À la place, je conseille un suivi psychothérapeutique. Dans certains cas, c’est indispensable.

 

Pour aller plus loin :
Le blog de Gisèle Frenette http://gisele-frenette.blogspot.de/
Le site de l’association Endofrance http://www.endofrance.org/

 





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