Corps Féminisme Societé
Mes poils, les autres
et… mon bien-être.

Première partie

Roseaux, magazine féministe  Sonia Klajnberg



Retrouve le premier article de Nelly sur les poils (et le féminisme) ici

Dans un monde idéal féministe et égalitaire, mes poils ne poseraient aucun problème, quel que soit mon passing, mon genre assigné à la naissance, mon caryotype et mon groupe sanguin – qui, à mon sens, regardent moins autrui que la couleur de mes selles le matin, un sujet sur lequel bizarrement personne n’est jamais curieux malgré mes tentatives désespérées d’en faire un sujet de conversation usuel.
Evidemment, ce monde est loin d’être celui dans lequel nous vivons aujourd’hui : même s’il y a certaines villes et certains endroits à l’heure actuelle où l’on peut être qui on est réellement, s’habiller et se brosser les poils comme on le souhaite, ce n’est hélas toujours pas le cas de la majorité des parties du globe terrestre.

 

J’ai déjà rédigé un premier article sur le cheminement personnel que j’avais suivi pour en arriver à accepter et – bien pire ! – aimer mes poils. Aujourd’hui, je vis en harmonie avec mon corps, je prends soin de mes poils, je les dorlote et j’attends avec impatience de les voir s’adapter aux températures estivales. Tout cela est bien beau, mais tout cela est également très utopiste : je suis bien une des rares personnes à être fortement satisfaite de sortir les poils à l’air doucement caressés par la brise estivale. J’ai beau m’inquiéter de ce que pensent les autres comme de l’an quarante (qui, rappelons-le, n’a rien fait de spécial pour mériter cette mention), leurs réflexions et leurs regards restent quand même une source de souffrance quotidienne. Du coup, me voici de retour pour rédiger ces deux nouveaux articles (ceci est le premier de la série) recensant quelques-unes des réflexions les plus fréquentes que je reçois depuis que j’ai libéré mes poils ainsi que des idées de réponse – je ne détiens évidemment pas la solution miracle à tout, et parfois les remarques nous prennent tellement de court qu’on reprend nos esprits trop tard pour balancer une réplique cinglante bien sentie, nous ne sommes pas infaillibles.

« Ce n’est pas hygiénique »

Dans cette partie, je traite la question des poils de manière binaire car c’est ainsi que la plupart des personnes voient les poils : ceux des personnes qu’iels identifient hommes sont des « bons poils bien virils et hygiéniques » et on les laisse tranquille mais ceux des personnes qu’iels identifient femmes sont des « mauvais poils pas hygiéniques et très moches » – les personnes ne se situant pas dans cette binarité étant systématiquement invisibilisées.

Finalement, c’est un des arguments les plus faciles à contrer. Partons du principe que la personne qui s’exprime ainsi avec une moue dégoûtée est soit un homme soit une femme hétero* – partons également du principe que cette personne, pour tenir de tels propos, voit très certainement le monde de manière binaire en séparant d’un côté les femmes habillées de rose rêvant d’être mère au foyer et ne jurant que par le vernis à ongle et de l’autre les hommes virils et machos qui portent de lourds cartons et jouent à qui a le plus gros camion sur la route. On peut procéder en deux étapes :

1. Si cette personne a raison, ça signifie que les poils des hommes (les hommes, les vrais, musclés huilés, qui n’aiment pas la danse parce que « c’est un truc de femme » et qui se retiennent de boire de la bière aux fruits rouges même s’ils en raffolent histoire que personne ne remette en question leur hétérosexualité) ne sont pas hygiéniques non plus, donc qu’ils doivent s’épiler intégralement le corps – s’ils ne le font pas, tu admets qu’ils sont quasiment tous sales et non hygiéniques.

En tant qu’homme, cela revient à soutenir que toi-même, si tu ne t’épiles pas, est sale et non hygiénique ; en tant que femme hétéro* cela revient à admettre que tu trouves attirants des personnes non-hygiéniques. Généralement, la personne qui vous fait cette remarque est un homme qui tient à ses poils comme à sa virilité et qui bafouillera lorsqu’il s’agira de trouver une explication biologique (inexistante) ou médicale (idem) prouvant la différence intrinsèque d’hygiène entre les poils sur le corps « des hommes » (si vous avez suivi, les vrais bien virils qui ne peuvent qu’aimer la couleur bleue) par rapport à ceux sur les poils « des femmes » (les vraies qui ne vont jamais aux toilettes et qui éructent des paillettes dorées).

2. La médecine a déjà rappelé depuis belle lurette que les poils, au contraire, servent à nous protéger et à réguler notre sueur corporelle – ce qui n’est pas hygiénique c’est de ne pas se les laver, mais cela est vrai pour nos oreilles également, ou encore pour nos cheveux. Il existe une différence notable entre les poils situés sous les aisselles et les autres poils du corps : si pour les premiers, une de leurs fonctions est de retenir les odeurs, les autres sont en revanche des thermorégulateurs.

Pour autant, ce ne sont pas vos poils d’aisselle qui provoquent l’odeur en question mais l’interaction entre la sueur que votre corps produit et les bactéries qui se trouvent en surface de votre peau – une douche quotidienne, pour une personne transpirant de manière normale, suffira à éliminer les odeurs de transpiration. Être poilu·e, ça ne vous fera pas transpirer davantage.

Vous pouvez même ajouter un troisième argument bonus : les poils pubiens autour du vagin servent de protection et les ôter, sauf exception, peut entraîner de graves problèmes comme des infections. En effet, de la même manière que nos sourcils et nos cils permettent de relativement protéger nos yeux des agressions extérieures, les poils protègent notre pubis des bactéries et autres joyeusetés qui nous entourent – les épiler/raser fait disparaître cette protection et en causant des mini-lésions au niveau de la peau, cela peut même favoriser l’apparition d’infections.

En effet, l’épilation arrache à la fois le poil et sa racine ainsi que le bulbe qui lui est attaché – or, ces « glandes sébacée » sont celles qui produisent le sébum, une substance qui protège la peau notamment en l’humidifiant. Sans ces glandes, la peau devient sèche et fragile : c’est pourquoi la vulve peut brûler au contact des vêtements et la muqueuse, moins protégée, devient plus sensible aux mycoses et infections vulvaires.

Illustration : Sonia Klajnberg

« Ce n’est pas féminin »

Ah ! Le retour des normes patriarcales oppressives, ça ne m’avait pas manqué. Eh oui : pour être une fâme en 2017, une vraie, il vous faut : être épilée, maquillée, en petite robe pas trop longue pour ne pas être prude et pas trop courte pour ne pas être mal vue, un décolleté qui permet aux mâles de se rincer l’œil mais pas trop pour ne pas être jugée provocante, faire sembler de se trouver très moche et rire à toutes les blagues pourries de ces messieurs et surtout, surtout, répéter la bouche en cœur que le féminisme est quand même un truc de mal-baisées.

Une fois que l’on voit ces injonctions pour ce qu’elles sont – utiles à la reproduction oppressive, entrave à notre bien-être – regardons comment y répondre. Qu’est-ce qui est féminin ? Est-ce le rose, par essence ? Les robes, par essence ? Mais qui êtes-vous, si vous êtes une femme qui déteste le rose et les robes ? A mon sens, féminin signifie « ce qui vient d’une femme » – il y aurait donc des centaines de milliers de manière d’être « féminine », presque qu’autant que de femmes – mais dans la mesure où tout ce qui vient d’une femme pourrait venir d’un homme (qu’il s’agisse d’un comportement, d’un vêtement porté, d’un dessin animé aimé), cette notion ne recouvre à mes yeux rien d’autre qu’un ensemble de normes oppressives et d’injonctions.

« Sois féminine » est en réalité le meilleur moyen de rappeler aux femmes qu’elles doivent rester à leur place de personnes dominées, inférieures et fragile sans jamais prendre la liberté – malheureuses ! – de faire ce qu’elles veulent de leurs corps et de leur vie.

C’est pourquoi mon premier réflexe lorsque j’entends cette réflexion est de demander ce qui est « féminin » pour cette personne : « eh bien, de s’épiler ». Mais pourquoi ? « Parce que c’est moche, les poils, chez une femme, les poils, c’est un truc de mec ». Mais du coup, les hommes qui s’épilent ou qui sont peu poilus naturellement, ce ne sont pas des vrais hommes ?

Là, parfois, les personnes réagissent avec le magnifique double standard suivant : « Un homme ce n’est pas pareil, ça peut être épilé ou pas, ça reste viril [avec parfois comme ajout « du moment qu’il a des muscles »] mais une femme ne peut être tolérable qu’épilée ». Dans ce cas précis, j’essaie de leur faire comprendre l’inégalité flagrante de leurs propos et de faire un parallèle avec les cheveux longs : il n’y a pas si longtemps, et c’est encore le cas parfois, la société dans sa magnifique binarité sexiste considérait que les hommes ne pouvaient pas avoir les cheveux longs ni les femmes les cheveux courts – que tu aimes ou pas les personnes aux cheveux longs ou courts, je pense que tu peux te rendre des inepties que cela représente.

« Ah ben oui hein et les femmes qui ont des poils ce ne sont pas des vraies femmes et les hommes qui n’ont pas de poils ne sont pas des vrais hommes ». Bon, et du coup que sont les cyclistes ? Ils ne peuvent pas être virils dans la mesure où ils s’épilent pour les biens de leur activité quotidienne. Et les nageurs qui vont aux jeux olympiques ?

Ah, non, eux ne sont pas virils. « Ce n’est pas pareil » – je ne fais en réalité que suivre ta généralisation : si TOUS les hommes (ou personnes que tu identifies comme tels dans ta binarité oppressive) sans poils ne sont pas virils, tu l’appliques même aux sportifs – sinon, tu admets qu’il existe des exceptions et dans ce cas-là pourquoi ne pas l’appliquer aux femmes aussi ?

Tout cela est bien beau, mais ça manque de répliques cinglantes qui font fermer la bouche des personnes malintentionnées en leur donnant envie de se recroqueviller sous terre. Pour tout avouer, à cette réplique, je n’ai pas trouvé autre chose que : « mon corps mes choix », ou « ça tombe bien, la vision sociale de la féminité me fait vomir et j’adore roter en me grattant la vulve », « être féminine si c’est pour plaire à quelqu’un d’aussi fermé d’esprit que toi, je n’en veux pas merci » ou un bon vieux « ta gueule » suivi d’un doigt d’honneur et d’un grand sourire.

Le problème de l’argument du « féminin », c’est qu’effectivement la société a posé des normes selon lesquelles faire ci ou ça est féminin ou ne l’est pas. Se vernir les ongles longs c’est féminin, ce qui rend toutes les pianistes du monde non-féminines – en même temps, les personnes qui vous font la remarque ne connaissent très probablement pas de pianistes, vu qu’elles sont rares.

Ce n’est pas féminin : et alors ? Mon but dans la vie, ce n’est ni de TE plaire ni de plaire à la société ni d’être vue comme « féminine ». Mon objectif de vie, c’est d’être bien dans mon corps : pourquoi donc m’infliger des douleurs régulières en m’arrachant les poils et en faisant souffrir ma peau pour un résultat visuel que j’apprécie de moins en moins et pour des sensations physiques amoindries ? Pour que des inconnus [le masculin ici est intentionnel] dans la rue valident mon apparence physique et se disent qu’ils me violeraient bien s’ils en avaient l’occasion ?

Évidemment, le discours varie selon que vous tentiez d’expliquer la chose à des personnes dans un cadre de dialogue plutôt stable ou si vous cherchez à vous débarrassez de l’énième relou quotidien qui vient vous imposer son avis.

Je n’ai pas de solution miracle, cependant personnellement j’ai adopté l’attitude suivante : aux inconnus dans la rue qui font une moue dégoûtée ou me font des réflexions, j’arbore un grand sourire en soulevant les aisselles assez brièvement pour ne pas risquer qu’on me prenne en photo à mon insu (une de mes terreurs) et assez longtemps pour voir se peindre le dégoût sur leur visage.

Les poils, cette arme ultime ! « J’espère que tu en feras des cauchemars la nuit ! », clin d’œil, et je pars dans n’importe quelle direction pour mettre fin à la situation. Un bon vieux « mon corps mes choix » permet aussi de couper court la tête haute lorsque je sens que l’autre personne est agressive et que lui souhaiter des cauchemars risque de lui donner des envies de confrontation physique que je n’ai pas souvent l’énergie de gérer.

Aux personnes auxquelles je parle, je demande ce qu’ils font, eux (si ce sont des hommes enfermés dans les normes de virilité) pour être un vrai homme bien masculin : je trouve personnellement souvent en les regardant qu’ils ne sont pas assez poilus pour être masculins (un vrai mec ça des poils partout c’est bien connu, même sur les ailes du nez), n’hésitant pas à dire que selon le code des préceptes absurdes de la société, pour être un vrai mec il faut mesurer 19 cm à l’entrejambe et avoir des poils de précisément 35,2 cm.

Je conclus en disant que si on arrêtait de suivre les injonctions sociales, tout le monde s’en porterait mieux et on pourrait enfin commencer à bien vivre nos vies respectives.

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