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"Le Procès du siècle" :

une

historienne

face au

déni de l'Holocauste
Roseaux, magazine féministe  Allociné



TW : antisémitisme, mention des camps de concentration
CW : négationnisme

Naïve et bisounours que je suis, je pensais que les négationnistes étaient de sombres adhérent∙e∙s du FN, qui faisaient des blagues sur les chambres à gaz entre elleux, complètement bourré∙e∙s. Avec Le Procès du siècle (Denial en version originale, film réalisé par Mick Jackson), j’ai découvert qu’il y avait des gens qui passaient leur vie à tenter de prouver que la Shoah n’avait pas eu lieu. Je suis tombée de haut.
Quand je vous dis que je suis naïve.

Un portrait glaçant du négationnisme contemporain

Atlanta (États-Unis), 1993. Une historienne reconnue, Deborah Lipstdadt (Rachel Weisz), publie un livre, Denying the Holocaust (« Nier l’Holocauste »), dans lequel elle accuse un Britannique, David Irving (Timothy Spall), d’être négationniste, et donc de refuser de reconnaître l’existence de l’Holocauste. Cet expert autoproclamé assigne alors en justice l’historienne et sa maison d’édition, Penguin Books. C’est le début du film, et le début de longues années menant à un procès aussi absurde qu’impressionnant.

Très vite apparaissent à l’écran des images d’Auschwitz. Pas de musique. La caméra ne bouge pas. Certaines images restent plus de 10 secondes à l’écran. C’est long, 10 secondes, dans ces moments-là.

Tout au long du film, le∙a spectateur∙ice suit Deborah Lipstdadt. Première étape : Londres, où elle rencontre l’équipe qui va l’aider à mener ce combat, constituée d’avocat∙e∙s et d’historien∙ne∙s. Puis direction la Pologne, et Auschwitz. L’enjeu de cette visite ? Au-delà du pèlerinage, il s’agit de rapporter des preuves irréfutables de l’existence et du fonctionnement des chambres à gaz pendant la Seconde Guerre mondiale. Le∙a spectateur∙ice n’est pas le∙a seul∙e à être désemparé∙e, voire stupéfait∙e face à la nécessité d’une telle démarche : qui, aujourd’hui, peut censément clamer partout que la Shoah n’a pas eu lieu ?

Au cours du procès, qui dure en tout trois mois, c’est pourtant ce que David Irving n’aura de cesse de répéter : non, l’Holocauste n’a pas eu lieu, Hitler n’a jamais ordonné la déportation des Juif∙ve∙s d’Europe – d’ailleurs il les aimait beaucoup, c’était même « ses meilleur∙e∙s ami∙e∙s » – laissant le∙a spectateur∙ice pantois∙e. Plus cet énergumène vomit à l’écran ses « arguments » négationnistes, plus l’effarement est grand. Dans la salle de cinéma comme dans la salle du tribunal. Plusieurs fois, la caméra nous montre les regards atterrés, choqués et/ou révoltés – selon le moment – de Déborah Lipstadt, dont les émotions sont souvent semblables à celles des spectateur∙ice∙s.

La reconstitution de ce procès historique permet également de faire s’affronter deux concepts : la liberté d’expression et la réalité historique. Le film soulève plusieurs questions, au croisement entre histoire et philosophie : à quel moment la liberté d’expression devient-elle problématique ? Dans quelle mesure une démocratie peut-elle interdire certains propos et certaines opinions ? De combien et de quel type de preuves a-t-on besoin pour prouver qu’un crime contre l’humanité a bien eu lieu ? Pourquoi les négationnistes refusent-iels à ce point d’admettre le génocide juif ?

C’est le rôle du juge – homme très sérieux malgré sa perruque semblant sortie d’une toute autre époque – que de répondre à toutes ces questions, et de trancher en faveur du négationniste ou de l’historienne. Et c’est le rôle de D. Lipstadt, entourée d’une équipe de choc, de le convaincre que c’est elle, et son livre, qui ont raison.

Une femme forte entourée de sa dream team

Je ne sais pas si l’on peut qualifier ce film de profondément féministe. En revanche, son personnage principal l’est. Pendant presque deux heures, on suit le parcours et le combat de cette femme forte, qui n’abandonne jamais, et ne recule devant aucun obstacle – pas même les démarches qui lui semblent absurdes voire indécentes – avec son équipe. Il faut prouver que le zyklon B a bien tué les Juif∙ve∙s dans les camps ? Iels vont sur le terrain. Il faut prouver qu’Hitler a bien ordonné la déportation des Juif∙ve∙s d’Europe ? Iels vont chercher les documents. Et ainsi de suite, jusqu’à ce D. Irving ne puisse plus rien répliquer. Le discours de ce dernier, logorrhée raciste et antisémite, diminue heureusement au fil du film proportionnellement aux preuves apportées par les accusé∙e∙s.

Mais comment D. Lipstadt mène-t-elle ce combat ? Comment tente-t-elle d’atteindre son but, c’est-à-dire de parvenir à confondre D. Irving, à détourner la presse de cet énergumène, et à convaincre le juge qu’elle avait raison ? Pour cela, elle s’appuie sur une équipe dévouée, constituée d’avocat∙e∙s et d’historien∙ne∙s, qui se consacre à cette délicate tâche des mois et des années durant. Présentée comme une équipe d’expert∙e∙s au service de la vérité et de la justice, iels travaillent avec acharnement pour prouver – une fois de plus – que, oui, l’Holocauste a bien eu lieu. Une fois de plus, l’étonnement fait place à l’absurdité. Comment peut-on nier, en regardant une historienne (juive, qui plus est) droit dans les yeux, le génocide juif ?

Le film s’attache également à montrer à quel point D. Irving est convaincu par ce qu’il raconte. Il est assez impressionnant de le voir avancer argument sur argument, ne se laissant – au début du procès du moins – pas déstabiliser par les arguments historiques avancés par l’avocat, assortis de nombreuses preuves. Cette équipe d’expert∙e∙s au service de la vérité et de la justice, impressionnante par sa ténacité, ne se contente pas d’être une incarnation du Bien. Ses membres sont tour à tour victimes de doutes, de lassitude, d’épuisement. Plus d’une fois, D. Lipstadt a envie de tout envoyer bouler, et d’aller dire sans détour ses quatre vérités à D. Irving, même si cela doit ruiner la stratégie de l’avocat.

La mise en lumière du négationnisme pour mieux le condamner

Le négationnisme n’est pas condamné explicitement et systématiquement comme l’on pourrait s’y attendre. D’abord, il est montré – ce qui n’est déjà pas si courant – et mis en scène de façon simple. Le parti pris du réalisateur ne semble pas être de le condamner frontalement. La critique, plus discrète, plus incisive, est également plus convaincante.

Si, dans un premier temps, on observe D. Irving vomir sans s’arrêter ses thèses prétendument scientifiques, la deuxième partie du film est consacrée au démontage en règle de ces mêmes thèses. Une à une – chiffres, schémas, photos, témoignages à l’appui – elles sont montrées pour ce qu’elles sont : absurdes, infondées, et surtout insultantes à l’égard des victimes des camps de concentration.

Le fait qu’une bonne partie de l’action se déroule dans un tribunal n’enlève rien au film. L’argumentation des un∙e∙s et des autres est ponctuée d’images d’archives, saisissantes. Plusieurs fois, on voit une survivante d’Auschwitz s’entretenir avec D. Lipstadt. Elle veut témoigner, face au juge et face à D. Irving : raconter les camps, raconter l’horreur, afin d’aider l’historienne et son équipe. Mais l’avocat refuse : D. Irving est connu pour confondre de tels témoins, en argumentant sur des détails qui sont susceptibles de changer d’une fois sur l’autre, afin d’invalider les propos tenus. Le∙a spectateur∙ice partage alors avec D. Lipstadt les mêmes émotions : l’historienne est tiraillée entre l’avis professionnel de son avocat, et son cœur qui la pousse à faire entendre ces victimes coûte que coûte.

 

 

Le Procès du siècle porte bien son nom : en ces temps troublés, ère de la post-vérité et des « fake news », où Donald Trump nie la responsabilité de l’humanité dans le réchauffement climatique, et où Marine Le Pen refuse de reconnaître la responsabilité des policiers français dans la Rafle du Vél d’Hiv, un film comme celui-là fait du bien. On y voit des historien∙ne∙s et des avocat∙e∙s à l’œuvre, se consacrant à une cause très noble : faire reconnaître les fautes des êtres humains afin de construire une humanité meilleure et un avenir plus juste.

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