Corps Féminisme
Épilation

et

féminisme

Témoignage

Roseaux, magazine féministe  Janna B.



« Mais du coup, ça va te passer bientôt tu penses,
ou ça risque de te durer plus longtemps ? »

Je crois que c’est ce jour-là que j’ai compris. Tout mon grand discours qui consistait à affirmer, peu ou prou, que je voulais simplement « voir mon corps au naturel », « tenter une expérience », « seulement quelques mois » n’était qu’en fait une façade, une dernière protection contre la société pour me permettre de survivre face à ce choix et aux critiques qu’il engendrait. Je crois que mon engagement féministe a toujours pu se résumer au schéma suivant : se demander pourquoi je fais ça, tenter d’arrêter quelques temps « simplement pour voir » et ne plus jamais revenir en arrière.

J’ai toujours vécu mon féminisme par ruptures, sans retour en arrière possible – au moins pour un certain temps. J’ai vécu littéralement l’impression de libération dont les écrits théoriques militants parlent souvent : ressentir que pour la première fois de ma vie, je suis moi, je suis entière, je suis cohérente et je suis libre. J’ai vécu ça à différents niveaux concernant ma sexualité, concernant le port du soutien-gorge, le maquillage et des dizaines d’injonctions sur le corps féminin mais je ne l’ai jamais vécu de manière aussi intense qu’au cours de la découverte de mon corps poilu.

Et pourtant… Et pourtant, avant ce jour de prise de conscience brutale, je n’étais déjà pas une très bonne élève patriarcale : féministe de cœur à défaut d’être pleinement engagée, mettant un point d’honneur à protester farouchement contre toute tentative de me convaincre de mettre « juste un peu de maquillage pour cacher tes cernes et tes boutons », récalcitrante à toute remarque sur mon poids et mon aspect physique qui contenait notamment des mots tels que « je dis ça pour toi » et défendant la tranquillité d’un célibat qui se passait d’épilation.

« Au fait, pourquoi est-ce que je m’épile ? »

Une fulgurance. Il m’a fallu à peine une dizaine de secondes pour être frappée par l’évidence de cette réponse : certainement pas pour moi. Il m’a fallu encore une dizaine de secondes pour réussir à formuler un malaise qui commençait à me parcourir l’échine dorsale : « Au fait, il ressemble à quoi, mon corps poilu ? ». Cette pensée terrifiante a commencé à me hanter ce jour-là : et si ce corps-là, mon corps libéré de toute injonction, je ne l’aimais pas ? Et s’il ne me plaisait pas ? Et s’il me dégoûtait ? Et si j’avais tellement intériorisé la norme que même en sachant que je ne veux pas m’épiler je n’arriverai pas à trouver mon corps beau ainsi ?

J’ai décidé, ou plutôt mon inconscient a alors décidé, d’avancer masquée : pour commencer, expérimenter mon corps éloigné de toute obligation d’épilation pour quelques mois, afin de voir et me reposer de nouvelles questions ultérieurement. Ayant un sens du timing qui frôle la perfection, j’ai évidemment conduit ce raisonnement au mois de juin – parce que quoi de plus facile quand on cherche à se réhabituer à notre corps poilu que de devoir affronter en plus la réprobation sociale qui suit toute manifestation de pilosité féminine, je me le demande.

Redécouverte

Un seul mot : bonheur. Le bonheur incroyable que je ressentais à chaque toucher de mon corps nouveau, à chaque vision de ces poils minuscules qui me rendaient ivre de fierté. Je ne me lassais pas de découvrir la sensation de l’eau qui ruisselait sur mon nouveau corps, de sentir les gouttes hésitantes se frayer un chemin sur cette nouvelle route semée d’embûches.

Je n’arrivais pas à ôter mes yeux de mon corps, transformé, je n’arrivais pas à admettre ni comprendre ce sentiment qui me saisissait au ventre et faisait naître sur mon visage ébahi un sourire d’une niaiserie qui chez tout·e autre aurait provoqué sur mon visage une moue peu convaincue. Ce n’étaient que des poils, ce n’était que mon corps, rien n’avait changé et pourtant en moi, tout avait changé. Je goûtais cette liberté inavouable que personne ne comprenait dans la solitude de mon appartement.

« Tu me dégoûtes »

Ou plutôt, après mes supplications pour une reformulation : « ça me dégoûte ». Ah, la famille, la joie des liens du sang, oh, les ami·e·s, la joie des vieilles amitiés qui ne supportent pas l’évolution et le changement. La joie de voir cette pluie de jugements dégringoler sur mon bien-être et faire voler en éclats toute la sensualité et la jouissance de la redécouverte de mon corps. J’en ai hurlé de rage, j’en ai pleuré de désespoir, j’en ai insulté toutes les divinités de mon enfance en lesquelles je ne crois plus mais que j’avais besoin d’appeler pour trouver un exutoire à toutes ces émotions négatives.

Je me remémorais l’étude des tragédies grecques au lycée alors que s’imposait à moi, dans la douleur, une certitude : tu ne pourras pas rester ainsi. Iels ne sont pas prêt·e·s, la société n’est pas prête et tu ne peux pas vivre seule ni isolée. J’en ai noyé mes oreillers de rage, j’en ai mangé mes draps de colère, j’en ai hurlé à en perdre la voix, j’ai vécu accompagnée par la colère pendant de longues semaines. Été oblige, j’ai dû en plus de ces déboires personnels supporter les regards insistants et les remarques d’inconnu·e·s dans l’espace public qui trouvaient très avisé de venir me donner leur avis sur mon corps.

Illustration : Janna B.

« Ce n’est qu’une passade »

Après ces nombreuses semaines, pendant lesquelles je continuais à me dire que ce n’était qu’une expérience mais que je n’étais pas sûre de vouloir arrêter – au moins temporairement – définitivement l’épilation (le déni ? Quel déni ?), je me suis enfin rendue compte qu’il ne s’agissait pas que d’une expérience. Le jour où on m’a posé la question : est-ce une passade ? La réponse a jailli en moi et a fait vibrer tout mon être : non. J’ai hurlé, j’ai crié, j’en aurais pleuré de joie si je l’avais pu : NON.

Ce n’est pas une simple passade, ce n’est pas une expérience, c’est mon corps, je vis si bien, je ne veux plus jamais revenir à avant, parce que l’avant pour moi et pour mon corps, c’est l’arrière et que je ne veux plus jamais revivre ça. Je me le suis répété en boucle, c’était ma nouvelle certitude. Je ne savais pas encore vivre ainsi, je ne savais pas encore quels sacrifices familiaux, amicaux ou passionnels ça allait me faire accomplir, mais j’avais découvert avec certitude que plus jamais je ne voulais perdre mon corps poilu, mon corps doux, ce qui était moi – car comparé à cette sensation d’osmose avec mon corps, rien ne pouvait valoir le coup.

« Et maintenant, je fais quoi ? »

Parce que l’expliquer prendrait trop de temps, m’amènerait sur un terrain trop personnel et parce que je doute que l’ensemble soit d’une cohérence solide, je choisis de passer sous silence toutes les négociations interpersonnelles qui ont découlé de ce choix définitif. J’ai perdu des relations, certaines ont évolué, j’ai perdu certains sentiments que d’autres personnes me portaient et j’en ai profondément souffert.

J’en ai également perdu une certaine tranquillité – car une fois étiquetée comme la fameuse « féministe non-hétéro poilue et sans soutif », on sent peser une obligation sous-jacente de pédagogie et d’explications sans fin malgré la mauvaise foi crasse des interlocuteur·rice·s et que décliner simplement une exigence de faux débat peut représenter un coût en énergie qu’on n’a pas tous les jours. Dans l’ensemble, j’ai fini par retrouver un équilibre et une sérénité de vie et c’est ce qui compte – au-delà d’être ce sur quoi je choisis de me pencher afin de me concentrer sur le positif, je pense sincèrement que c’est ce qui doit être le plus important.

Est-ce à dire que je ne toucherai plus jamais à mes poils ? Non, je ne pense pas : sur certaines zones, j’aime bien parfois les raccourcir ou jouer avec. Je suis encore en période de redécouverte, même si les premiers éclats de joie et d’ivresse sont passés, j’aime faire des motifs avec, les raccourcir par endroits, guetter leur réaction au soleil, les soigner et parfois simplement les oublier, m’habituer à leur présence comme un élément indissociable de mon corps et qu’il ne s’agirait plus de questionner.

Peut-être que parfois, j’aurai envie de m’épiler ponctuellement à nouveau, que ça soit par pur choix libre ou par manque d’énergie d’affronter le regard des autres, qu’iels soit proches ou inconnu·e·s. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que j’ai retrouvé une liberté sur laquelle je ne reviendrai plus jamais. En arrêtant de m’épiler et en faisant le choix de ne plus envisager l’épilation que comme une composante de mes choix corporels et non comme une obligation, j’ai trouvé une nouvelle manière d’aimer mon corps et de l’accepter – je ne renoncerai à ça pour rien au monde.

Bien sûr, il y a des moments de découragement. Bien sûr, il y a ces moments de colère où un commentaire misogyne passe la barrière de ma bulle sociale protectrice et me donne envie de hurler et de frapper dans les murs. J’apprends encore à vivre avec cette colère – qui n’est qu’une ligne sur la longue liste de mes colères fréquentes face au monde dans lequel nous vivons.

Au fil des mois, j’ai également pu voir, fascinée, la profondeur de la mauvaise foi dont certaines personnes font preuve afin de ne pas ouvrir les yeux sur le système patriarcal mis en place. Certain·e·s vont même jusqu’à nier des données scientifiques pour mieux assoir leurs convictions oppressives. Cependant, j’ai aussi découvert en faisant ce choix que je n’étais pas seule – je ne pense pas que j’aurais été capable de vivre aussi bien cette décision si je n’avais pas déjà été au milieu de féministes. Je ne suis pas seule à le vivre ainsi, je ne suis pas la seule à lutter, et certain·e·s luttent de manière bien plus militante et intense que moi.

Certes, je ne peux pas sortir dans la rue quand il fait beau sans appréhender les mille remarques que je pourrai croiser au fil de mes pas – mais j’essaye de profiter de mon corps à chaque seconde dès que je retrouve une intimité et pour l’instant, j’en suis heureuse et je ne regrette pas une seule seconde ma décision.

Et vous, dans tout cela ?

Qui êtes-vous ?

A toutes les personnes qui voudraient arrêter l’épilation mais qui n’arrivent pas à franchir le pas ou qui ont peur de détester son nouveau corps, j’ai envie d’envoyer des wagons entiers de soutien et de pensées positives : parce que vous n’êtes pas seul·e·s, parce que je vous comprends, parce que je sais la douleur de faire ce choix dans la solitude. Quoiqu’il arrive, faites-le à votre rythme : même si cela doit prendre quelques mois ou quelques années, écoutez votre corps, vos envies, votre cœur et vos besoins. Décider de maintenir une épilation, partielle ou non, parce qu’on n’a pas la force d’affronter le regard des êtres aimés ou de la société n’est pas une défaite ni même un échec : c’est un obstacle. Un simple obstacle. A vous de voir comment vous allez le surmonter, s’il faut l’enjamber ou l’embrasser, s’il peut attendre ou s’il est urgent de le détruire dès maintenant.

A toutes les personnes qui ne savent pas quoi penser de la non-épilation féminine, je crois que tout pourrait se résumer en quelques mots : ne dîtes rien. Laissez-nous libres, libres de nos corps, libres de nos choix. Que l’on s’épile ou non, souvent ou jamais, partiellement ou totalement, laissez-nous libres. Vous nous désirez moins ceci, moins cela, vous aimeriez que ? Gardez votre avis pour vous, je vous en supplie. Votre désir n’est pas notre priorité et ne devrait jamais l’être. Notre bien-être est et devrait toujours être notre priorité. Que cela vous plaise ou non, peu importe.

Oui, certes, dans le cadre d’une relation amoureuse où le désir sexuel formaté par le patriarcat a du mal à s’attacher à un corps non épilé, il y aura débat. Mais la question qui se posera ne devrait jamais être de choisir entre son bien-être propre et le désir d’autrui. Si vous aimez réellement la personne, lancez-vous sur le chemin de la déconstruction. Cherchez à habituer votre œil à des formes de beautés éloignées de la vision lisse, blanche, valide et mince de la société patriarcale. Fouillez les blogs à ce sujet, les articles, les photos, les ressentis des personnes concernées.

Écoutez notre cri de libération, écoutez notre besoin de sortir de ces injonctions.

Respectez nos choix. Respectez nos corps. Respectez nous.

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2 commentaires

danslarue

je suis passée par les mêmes étapes, je me reconnais tellement la-dedans. D4abord j’ai laissé pousser sous couverture, en hiver juste pour voir à quoi ça ressemblait. J’avais de la chance, mon mec s’en fout total, au contraire il m’encourageait. J’ai réappris les sensations des poils et puis un jour, je suis sortie en jupe pour 30 mètres dans ma rue. Une semaine plus tard j’ai traversé la ville, avec une jolie robe, maquillée, coiffée, mes aisselles telle que je fus faites et mes jambes aussi. Les aisselles je m’en fous total désormais, en fait c’est très sexy. Les jambes je suis encore en adaptation. J’aurais très peur par exemple de me trimballer à Paris mais en vérité, j’ai peur des autres femmes. Celui qui a le plus mal réagit c’est mon père: le patriarcat il est bien là mais ma mère me fit honte aussi, n m’a sortit que ma vie amoureuse était fini bal bla bla. C’est mon corps! J’ai retiré le voile, je ne veux plus le remettre

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